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Quelques négriers français y avaient aussi recours : ils expédiaient leurs navires à la Corogne, où une vente fictive avait lieu, et le bâtiment repartait pour l’Afrique muni de papiers espagnols. Depuis que les Anglais s’étaient interdit la traite, le prix des esclaves avait beaucoup diminué sur la Côte d’Or et dans le golfe de Bénin, où ils avaient l’habitude de s’approvisionner, et les Portugais, auxquels un traité interdisait le trafic au nord de l’équateur, étaient obligés d’arborer les couleurs espagnoles pour pouvoir profiter de ce rabais, Ces faits expliquent comment tant de navires portaient le pavillon de l’Espagne, quoique cette nation fût alors presque étrangère à la traite ; : mais ce qu’il importe surtout de prouver, c’est la part que les Anglais prenaient à ce commerce.

La société africaine de Londres disait en 1810 : « On a découvert qu’en dépit de toutes les peines portées par le parlement, des navires sous pavillon espagnol ou suédois ont été équipés à Liverpool et à Londres pour transporter des esclaves de la côte d’Afrique dans les colonies espagnoles et portugaises. Quelques cargaisons d’esclaves ont été débarquées à Saint-Barthélemy, et de là introduites en contrebande dans les îles anglaises : la découverte d’une opération de ce genre a révélé des faits qui tendent à impliquer dans ce commerce des personnes d’un rang élevé. » Mêmes plaintes en 1811 : « Des enquêtes judiciaires ont prouvé que la traite se continue sur une vaste échelle, et en grande partie grace aux capitaux et au crédit de commerçans anglais. Une foule d’esclaves sont introduits dans les Antilles anglaises, et tous les ans de nombreux navires quittent les ports de Liverpool et de Londres pour aller à la côte d’Afrique. » Les rapports de 1812 et de 1813 ne sont pas moins formels, et nous pourrions poursuivre cet examen d’année en année. En 1815, M. Barham disait aux communes que « c’était un fait connu de tout le monde que des capitaux très considérables étaient employés dans la traite, et qu’elle se faisait par navires anglais. » En 1818, lorsque déjà plusieurs nations avaient à leur tour aboli la traite, lord Castlereagh disait au parlement : « Ce serait une bien grande erreur de croire que le reproche de faire illégalement la traite tombe uniquement sur les nations étrangères. Dans une multitude de cas, j’ai regret à le dire, il est venu à ma connaissance que des sujets anglais étaient engagés pour des sommes très fortes dans le commerce des esclaves. »

À défaut des aveux des ministres anglais, il nous suffirait d’invoquer le fait suivant. L’excès des décès sur les naissances parmi la population noire était très considérable dans les Antilles anglaises ; en 1810, il