Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/1137

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dernier vêtement ; elle a détaché sa verte ceinture ; voyez briller libre et sans voiles le marbre éclatant de ses épaules, et ses bras, et son sein, qu’elle offre nus à tous les désirs !

« Voyez ! A travers les jalousies baissées, la lune, curieuse, se glisse ; on entend frémir dans les arbres comme des gouttes de pluie, on entend des pas furtifs, des baisers voluptueux, et des cœurs embrasés qui s’étreignent ! Une mer d’amour bat de ses flots brûlans la vallée enivrée ! La voûte du ciel se change en un rideau ; Vienne devient une prêtresse de Vénus.

« O courtisane, qui, derrière tes rideaux, célèbres toute la nuit tes fêtes lubriques, et qui, le matin, d’un air de Madeleine, vas chanter hypocritement tes absolve au fond du confessionnal, tu ne sais qu’irriter une existence à laquelle manque la force et la consécration de l’esprit. Tu la plonges dans les joies grossières, parce qu’elle n’est animée d’aucun essor sublime.

« Oui, tu es belle avec ta couronne de roses, quand la fleur du désir brille sur ta joue, et que tu passes, au milieu de la danse rapide, ardemment pressée sur la poitrine des jeunes hommes ! Oui, se bercer sur ton sein dans l’oubli du monde, se balancer dans ce port que forment tes bras si doux, et céder enfin au vertige que donnent tes sorcelleries, oui, c’est là un sort que les dieux eux-mêmes ont envié !

« Moi, je te fuis, ô femme, pour ne pas m’agenouiller devant toi, pour ne pas grossir le nombre de ceux qui t’adorent ! Tu ne m’attireras pas sur ta couche de pourpre, ô femme de Putiphar ! Laisse mon manteau !… Je vois flotter devant mes yeux, au milieu d’une chaste lumière, l’image de la fiancée de mon ame. »


Puis, après ces vigoureuses peintures d’une plume chastement cynique, le poète réveillait en lui la pensée, l’enthousiasme, toutes les nobles maîtresses de sa vie ; il faisait resplendir l’image de son pur amour, et partait en jetant à la sirène un énergique défi. Ce sont aussi les adieux de M. Beck, et il nous entraîne dans l’Allemagne du nord, du côté des montagnes de la Thuringe.

Weimar ! Weimar ! arrêtons-nous : voici la maison de Goethe. C’est ici que siégèrent les dictateurs, ces rois de la poésie germanique ; c’est d’ici que la pensée sortait toute radieuse pour illuminer l’Allemagne. Quelle fraîche matinée ! Avril vient de réveiller l’immense nature ; les marguerites refleurissent dans le champ du maître ; entrons dans la demeure sacrée, allons nous asseoir à la table du poète, allons saluer le berceau de ses filles immortelles et baiser la trace de leurs pas. Mais le pieux pèlerin a hésité tout à coup sur le seuil : quelle est cette figure sévère qui lui apparaît ? Quel est ce juge chagrin dont le reproche silencieux l’arrête, au moment d’entrer, par la porte d’ivoire, dans le royaume des songes ? Il a reconnu son ami, son directeur, celui qu’il chantait hier, à Leipzig, avec tant de candeur et d’enthousiasme. Le