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pas comme des actes d’ingratitude les tentatives que ferait Addington pour se rendre indépendant. Ces tendances réciproques de l’ancien et du nouveau ministre étaient conformes aux lois invariables de la nature humaine ; elles devaient se développer tôt ou tard, même sans aucune impulsion extérieure ; mais, comme il arrive presque toujours, l’action malfaisante d’une partie des adhérens exclusifs de chacun de ces deux hommes d’état précipita une rupture que leur modération et leur expérience auraient probablement retardée.

D’une part, les amis les plus ardens de Pitt, ceux qui voyaient dans son génie et dans son énergie éprouvée le seul moyen de salut qui restât à l’Angleterre, ne croyant pas à la possibilité d’une paix solide avec la France, s’indignaient des conditions du traité d’Amiens, appelaient de tous leurs vœux le renouvellement de la guerre, et ne cessaient d’accuser la faiblesse, l’impéritie, l’insuffisance du cabinet. Pitt, comme nous l’avons vu, était loin de s’associer à ces agressions ; il les repoussait même quelquefois ; mais ses réfutations, s’adressant à des hommes dont le tort principal était de vouloir lui rendre trop promptement le pouvoir, n’avaient naturellement pas une grande vivacité ; c’étaient des conseils de prudence plutôt que l’expression d’un blâme sévère, et il n’en conservait pas moins des rapports bienveillans avec ceux qu’il combattait ainsi. D’un autre côté, certains membres de l’ancienne opposition qui peut-être avaient plus d’une fois regretté de s’être engagés dans un parti constamment vaincu, mais qui n’eussent pu sans honte se rapprocher du gouvernement tant qu’il avait à sa tête le ministre si violemment dénoncé par eux à la haine publique, commençaient à entrevoir la possibilité de se rallier à l’administration nouvelle. Sheridan particulièrement, à qui le désordre de sa fortune privée ne laissait pas une entière indépendance, penchait fortement dans ce sens et s’efforçait d’y entraîner ses amis politiques ; il travaillait même à concilier au cabinet l’appui du prince de Galles dont il possédait la confiance, et qui, depuis quelques années, était rentré dans les rangs de l’opposition. Cependant, pour cacher aux autres, pour se dissimuler à eux-mêmes les motifs plus ou moins désintéressés d’un tel changement, pour se mettre à l’abri du reproche d’inconséquence, ces néophytes du parti ministériel s’attachaient à signaler une grande différence entre la politique d’Addington et celle de Pitt ; et ils continuaient à diriger contre ce dernier des accusations aussi violentes que celles dont ils l’avaient poursuivi lorsqu’il était au pouvoir. Addington, croyant trouver dans l’adhésion de ces nouveaux auxiliaires la force dont il avait besoin, ne mit pas toujours à défendre Pitt contre leurs