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de la nécessité de la guerre ; il leur avouait que, dans sa propre conviction, le moment était arrivé où il eût pu utilement pour le pays rentrer au ministère ; mais il leur faisait remarquer que, s’étant engagé, imprudemment peut-être, à soutenir Addington, qu’il avait déterminé par cette promesse à se charger du fardeau des affaires, il ne pouvait honorablement travailler à le renverser ; il leur donnait à entendre que, pour être en mesure de reprendre, sans manquer à son caractère, la direction du gouvernement, il fallait ou qu’Addington l’en sollicitât, ou qu’il y fût appelé par la volonté hautement proclamée du roi et du parlement.

De pareilles objections semblaient moins avoir pour objet de refroidir le zèle impatient de Canning et de ses amis que de leur indiquer les moyens les plus sûrs d’atteindre le but qu’ils avaient en vue. Ils travaillèrent dès-lors à préparer des manifestations d’opinions assez imposantes pour décider la retraite d’Addington et le retour triomphant de Pitt ; mais leurs démarches trop précipitées n’obtinrent pas, de la part de tous les personnages considérables qu’ils s’efforcèrent d’y associer, le concours empressé qu’ils avaient espéré. Pitt, d’ailleurs, craignant d’être compromis par ces intrigues, en témoignait parfois quelque mécontentement et obligeait ses amis à en interrompre le cours. D’autres fois, affectant de se tenir à l’écart, d’ignorer même ce qui se passait, il éludait les confidences de ses partisans trop ardens, évitait de les voir, et refusait même de recevoir leurs visites. Il ne mettait pas moins de soin à modifier peu à peu les relations intimes qu’il avait d’abord formées avec Addington, et que ce dernier, par un calcul facile à comprendre, s’efforçait d’autant plus d’entretenir qu’il voyait Pitt plus enclin à s’en dégager. Pour se soustraire sans trop de mauvaise grace à ces communications journalières, à ces demandes de conseils par lesquelles on essayait de l’enchaîner à la politique du ministère, non-seulement Pitt ne paraissait plus au parlement, mais il ne venait même plus à Londres, et il passa un hiver entier dans une de ses terres, n’y recevant qu’un petit nombre de visiteurs. Cependant, pour ménager à tout évènement les dispositions personnelles du roi, il disait, il faisait dire qu’il avait renoncé à reproduire la question des catholiques. Cette situation avait quelque chose de faux et de pénible. On regrette de voir un tel homme conduit, par l’entraînement des circonstances, à user dans ces mesquins expédiens les ressources de son esprit ; on voudrait le voir, en présence des dangers de la patrie, moins préoccupé du soin de sa propre renommée ; mais Pitt, capable de tous les autres genres de désintéressement, ne