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le point de voir disparaître le seul résultat qui lui eût d’abord concilié la faveur publique. Les évènemens justifiaient les prédictions de ses adversaires. Formé pour remplir une mission pacifique, il semblait peu capable de supporter les épreuves terribles dont il était menacé. S’il se recommandait en général par l’honnêteté et la modération des sentimens, s’il comptait même dans son sein quelques hommes d’un vrai mérite et qui, plus tard, aidés par un heureux concours de circonstances, devaient occuper avec éclat les positions principales dans le gouvernement de leur pays, ces hommes, encore jeunes à cette époque, dépourvus du prestige des grands services autant que de celui des talens éminens, et n’y suppléant pas même par de hautes positions aristocratiques, paraissaient surtout bien inférieurs à leur situation en présence de leurs prédécesseurs et des chefs de l’opposition. Auprès de Pitt, de Fox et même de leurs principaux lieutenans, Addington et ses collègues semblaient bien médiocres, bien insuffisans. Ils ne pouvaient plus, d’ailleurs, compter d’une manière absolue sur l’appui de Pitt : déjà quelques symptômes de dissidence s’étaient manifestés entre eux et lui. Dans les élections qui venaient d’avoir lieu pour le renouvellement de la chambre des communes, on avait éprouvé les fâcheux effets de cette situation équivoque, qui coupait pour ainsi dire en deux le grand parti maître du pouvoir depuis vingt ans. L’administration n’avait pu exercer beaucoup d’influence sur les choix, et peut-être même elle n’en avait point eu le désir, parce qu’elle ne savait pas précisément dans quelle opinion elle devait s’attendre à trouver le plus d’auxiliaires et le plus d’ennemis. Le parti de l’ancienne opposition avait profité de cette inaction du gouvernement, qui renonçait ainsi à son devoir d’initiative et de direction suprême. Fox, sans acquérir à beaucoup près la majorité, avait vu grossir les rangs de la minorité si faible à laquelle il était réduit depuis dix ans.

On sentait qu’une main plus vigoureuse était nécessaire pour soutenir l’action du gouvernement au milieu des nouveaux orages qui allaient éclater, et cette main ne pouvait être que celle de Pitt. La voix publique, le sentiment du danger commun, le rappelaient aux affaires ; quelques-uns même des membres du ministère, entre autres le duc de Portland, dissimulaient assez peu les vœux qu’ils formaient pour qu’il reprît bientôt une place où son énergie devenait nécessaire. Ses partisans exclusifs, les plus jeunes surtout, et Canning plus que tous les autres, le pressaient de se mettre à la tête du mouvement d’opinion qui le reportait au pouvoir. Pitt convenait avec eux de la faiblesse, de l’insuffisance du cabinet, de l’imminence et presque