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qui se montrait préoccupé d’exécuter sérieusement le traité. Il en résulta que beaucoup de maisons de Rio abandonnèrent la traite, et les pertes essuyées par d’autres entraînèrent de nombreuses faillites. Ce ministère fut renversé, le nouveau cabinet adopta une ligne de conduite différente, et les spéculateurs reprirent courage. Du 1er novembre 1842 au 1er avril 1843, 39 négriers abordèrent à la côte de Rio, et en calculant sur 300 nègres par navire, cela donnerait 11,700 en cinq mois ; mais la moyenne véritable est 450, ce qui donnerait un total de 17,550. On voit que nous sommes déjà bien loin du chiffre de 1841 et 1842.

Ce n’est pas la seule raison qui nous fasse regarder ces chiffres comme beaucoup trop faibles : les mesures de rigueur adoptées un moment par le gouvernement brésilien eurent pour résultat d’opérer un changement dans la façon dont se faisait la traite. Quand les autorités brésiliennes étaient de connivence avec les négriers, les navires entraient et sortaient ouvertement ; puis les traitans prirent l’habitude de débarquer leurs cargaisons dans quelqu’un des petits ports voisins de Rio, et de rentrer sur lest dans le port. Après un semblant d’enquête, la police ne manquait jamais de relâcher le navire et l’équipage. Ainsi le Rio-Tuo, qui, en 1839, ramena 1,300 nègres en trois voyages, figure sur les registres du port comme entré trois fois sur lest, et presque tous les navires enregistrés comme partis pour la côte d’Afrique sont marqués comme rentrés sur lest. Mais lorsque le gouvernement brésilien prit des mesures rigoureuses, les négriers renoncèrent à entrer dans le port, à moins d’y être forcés par de graves avaries. Une fois leur cargaison à terre, ils renouvellent leur approvisionnement sur la côte et retournent immédiatement en Afrique. Les principales maisons de Rio-Janeiro ont même formé dans les villages voisins de la côte des établissemens considérables, afin d’épargner à leurs navires la nécessité d’entrer à Rio. Ainsi, en 1840, le 2 de Abril ramena au Brésil, en quatre voyages, 2,000 nègres, qu’il débarqua à Cabo dos Buzios, retournant directement en Afrique sans entrer dans aucun port. On conçoit dès-lors combien il est difficile de connaître le nombre des navires qui arrivent ainsi à la côte, et surtout le nombre des esclaves qu’ils y déposent ; on voit combien d’opérations doivent rester secrètes. Le brick Jehovah ramena en trois voyages 700, 600, puis 520 nègres, et fut obligé d’entrer à Rio à la fin du troisième voyage ; les 520 nègres du dernier voyage figurent sur les tableaux officiels ; les 1,300 autres n’y sont pas portés. Pareil fait a dû se renouveler souvent, et quand on songe combien une côte de