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L’Ile-des-Sept-Sommeils, Seîn, l’île druidique,
Si basse à l’horizon, qu’elle semble un radeau
Entouré d’un millier de récifs à fleur d’eau !
Ah ! demain, venez voir, entre la Pointe et l’île,
Les perfides courans briller comme de l’huile ;
Venez voir bouillonner la mer, et, sur les rocs,
Ouvrez encor l’oreille au grand bruit de ses chocs.
L’épouvante est partout sur ce haut promontoire,
Et chacun de ses noms dit assez son histoire.
À gauche, ces rochers de la couleur du feu,
C’est l’Enfer-de-Plô-Goff ; sur la droite, au milieu
De ces dunes à pic, c’est l’exécrable baie,
La Baie-des-Trépassés blanche comme la craie :
Son sable pâle est fait des ossemens broyés,
Et les bruits de ses bords sont les cris des noyés !…

Mais déjà s’éloignait la bande solennelle,
Et tous les assistans s’écartaient devant elle :
Parmi les plus hardis, quelques-uns se penchant
Pour voir ceux qui toujours se cachent en marchant ;
D’autres, tout effarés, s’enfuyant vers les grèves,
Comme pour échapper aux spectres de leurs rêves.
De sorte qu’un vieillard : « Non, jamais un tel vœu,
«  Même aux plus criminels, ne fut prescrit par Dieu !
« Jamais, hormis les morts entourés de leurs langes,
« Les hommes n’ont marché sous ces voiles étranges !
« Vous-mêmes, dites-nous si vous êtes des morts ?
« Hélas ! dans tous les temps ils ont aimé ces bords.
« Autrefois, un Esprit venait, d’une voix forte,
« Appeler chaque nuit un pêcheur sur sa porte
« Arrivé dans la baie, on trouvait un bateau,
« Si lourd et si chargé de morts qu’il faisait eau ;
« Et pourtant il fallait, malgré vent et marée,
« Les mener jusqu’à Seîn, jusqu’à l’île sacrée…
« Aujourd’hui sur la mer ils flottent tout meurtris,
« Et l’horrible vent d’ouest nous apporte leurs cris ;
« Sur le cap on les voit errer jusqu’à l’aurore,
« Mais jamais en plein jour on ne les vit encore.
« Faut-il prier pour vous ? nous prîrons ; mais, hélas !
« Si vous êtes des morts, ne nous effrayez pas.