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Comme sous un linceul, ô costume sauvage !
Sous leurs habits mouillés s’est caché leur visage ;
Pieds nus, la corde au cou, le visage voilé,
Ils suivent les détours du golfe désolé.

Non, Plô-Goff n’aura pas deux fois un tel spectacle !
Tous les gens du pays vinrent criant miracle !
Attroupés sur le cap, ils voyaient dans le bas
Les pâles visiteurs se traîner pas à pas,
Puis, entre les rochers, au chant plaintif des psaumes,
Monter vers eux, monter pareils à des fantômes ;
Mais tous, ayant sur mer des pères, des enfans,
Ils voulurent toucher et voir ces arrivans.
Les femmes ! (dans leur cœur si la crainte est bien forte,
Sur la crainte pourtant c’est l’amour qui l’emporte)
Une d’elles, les bras ouverts, les yeux hagards,
Courut vers le cortége, et, comme ses regards
Sous le linge mouillé n’entrevoyaient qu’à peine
Celui vers qui l’instinct de tout son cœur l’entraîne,
Par un mouvement brusque elle écarta les plis
Du voile, en s’écriant : « C’est vous, c’est vous, mon fils ! »

Mais lui, d’un ton glacé : « Que faites-vous, ô femme ?
« Si mon corps est sauvé, faut-il perdre mon âme ?
« Cette nuit, quand les flots se dressaient contre nous,
« Par les Saints de la mer nous avons juré tous,
« Si leur main nous sauvait de cette dure crise,
« D’aller ainsi voilés vers la prochaine église,
« Sans dire notre nom aux habitans du lieu,
« Sans avoir de pensers pour d’autres que pour Dieu…
« A genoux ! mes amis, et tenez vos mains jointes !
« De la croix d’un clocher j’ai reconnu les pointes !
« La maison du Sauveur, d’ici, je l’aperçois
« A genoux ! mes amis, et saluons la croix ! » —
Oui, chrétiens, louez Dieu ! Devant ce cap du monde,
Dont la crête s’élève à trois cents pieds sur l’onde,
Dans ces mornes courans, par le temps le meilleur,
Nul ne passa jamais sans mal ou sans frayeur !
En face, la voici, l’effroi de l’Armorique !