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croisière le long du Mozambique, par suite des progrès rapides de la traite, et d’établir une commission judiciaire au cap de Bonne-Espérance.

Les nègres vendus aux trafiquans sont en grande partie des prisonniers de guerre ; mais si les guerres alimentent la traite, la traite de son côté perpétue les guerres. En effet, lorsqu’un chef n’a pas d’esclaves à vendre, pour peu qu’il soit puissant, il déclare immédiatement la guerre à ses voisins. Le roi Boatswain, dans les environs de la colonie de Liberia, avait vendu d’avance un certain nombre d’enfans à un négrier. Au retour de celui-ci, il n’avait pas les esclaves promis. Boatswain rassemble ses troupes, tombe la nuit sur un village, et fait égorger tous les habitans, excepté un certain nombre de jeunes filles et de jeunes gens qu’il met de côté pour le négrier. Mais on ne vend pas seulement des prisonniers de guerre. Il résulte des interrogatoires subis par des esclaves délivrés que des maris vendent souvent leurs femmes soit pour les punir d’une faute, soit simplement parce qu’ils en sont dégoûtés. Beaucoup de jeunes filles sont vendues par leurs frères, quelquefois même par leurs pères, en échange d’un fusil ou de munitions ; enfin, des enfans sont vendus souvent par leurs parens.

Les nègres sont quelquefois amenés de fort loin aux marchés, et les maux qu’ils souffrent dans le trajet égalent ceux qui les attendent dans la traversée. On sait qu’une caravane partie de la Nigritie pour Tafilet, composée de 2,000 hommes et de 1,800 chameaux, n’ayant pas trouvé d’eau à la station habituelle, périt tout entière dans le désert. On cite aussi l’exemple d’une caravane de 1,000 personnes et de 4,000 chameaux : 21 hommes et 12 chameaux atteignirent seuls le terme du voyage. Les esclaves sont attachés quatre à quatre par une paire de sangles de cuir qui leur serre le cou ; de plus, la jambe droite de l’un est enchaînée à la jambe gauche de son voisin : la nuit, on leur lie les mains avec des menottes. Les gens qui les conduisent sont ordinairement à cheval les esclaves suivent à pied ; ils sont contraints de soutenir leurs chaînes avec une corde pour pouvoir marcher, et encore ne peuvent-ils avancer que lentement. Leurs conducteurs ne leur épargnent pas les coups de fouet, et souvent les font marcher depuis le matin jusqu’au soir avant de leur rien donner à manger. Si la force vient à manquer à quelqu’un d’entre eux, les trois autres auxquels il est attaché sont obligés de le traîner ou de le porter, et souvent ils l’achèvent pour se débarrasser de cet insupportable