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diminuer son revenu dans les temps prospères, alors que le taux de l’intérêt s’abaisse. Est-ce à dire qu’il soit lésé ? Non : il subit l’influence naturelle du changement des temps. Faut-il que le rentier de l’état échappe à cet égard à la loi commune ? Rentiers ou capitalistes trouvent d’ailleurs un dédommagement à cette diminution de leurs revenus, tant dans la sécurité plus grande dont ils jouissent que dans les facilités qu’ils trouvent eux-mêmes à emprunter. Disons plus, le rentier a sur le simple capitaliste cet avantage, que, recevant toujours par le remboursement au pair plus qu’il n’a donné, avant que son revenu soit amoindri, il est déjà dédommagé par l’accroissement du capital. Après tout, nous ne nierons pas qu’il ne fût commode pour les créanciers de l’état de percevoir en tout temps ces intérêts élevés, que l’on n’obtient d’ordinaire que dans les temps de crise. Toute la question est de savoir s’il est permis à un gouvernement qui se respecte de leur faire, aux dépens des contribuables, ces libéralités gratuites.

On rappelle avec grand bruit que le 5 pour 100 a été inscrit au temps de nos troubles révolutionnaires, et que les porteurs de ces rentes ont eu à subir alors une réduction arbitraire, qui a frappé tout à la fois capital et revenu : d’où l’on conclut que l’état devrait aujourd’hui se résoudre à un sacrifice pour réparer l’injustice faite en d’autres temps. Mais d’abord toute la masse du 5 ne date pas de l’époque révolutionnaire ; on le sait bien ; il faudrait donc tout au moins distinguer les origines et les dates. Ensuite, de ces anciens propriétaires de rentes, sur lesquels les réductions arbitraires ont porté, combien y en a-t-il qui survivent ? et de ceux qui survivent combien ont conservé leurs titres ? Considérez donc le nombre incroyable de mutations qui ont dû s’opérer depuis un demi-siècle sur des valeurs si facilement transmissibles, et qui sont tous les jours l’objet de transactions considérables. Est-il possible après cela de songer sérieusement à réparer les torts d’autrefois. Sauf quelques exceptions assez rares, cette prétendue réparation n’irait pas à son adresse, et sous prétexte d’indemniser ceux qui ont perdu au milieu des désastres de la révolution, on ne ferait qu’octroyer de nouveaux bénéfices à ceux qui, ayant acheté au taux de 70, de 60 ou même de 50 francs, n’ont déjà qu’à se louer d’un remboursement au pair.

N’élevons donc plus aucun doute sur la justice de la mesure, et voyons seulement quand et dans quelles limites il convient de l’entreprendre. De ce que nous venons de dire, il résulte assez clairement que l’état ne doit consulter en cela que ses convenances particulières et ne considérer qu’une seule chose, la possibilité de l’exécution.