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et à une époque plus récente, malgré ces déchiremens et ces partages qui ont renouvelé plusieurs fois la face politique de notre continent, il se trouve que les races ont perdu très peu de leurs caractères. Transportées souvent du nord au midi ou du midi au nord, elles reviennent d’elles-mêmes à leurs limites dès que le bras de fer qui les mêlait arrive à se retirer. On peut donc dire que la guerre était le lien des âges de barbarie, mais que ce lien établissait entre les peuples des rapports violens qui les rassemblaient sans les unir. Il ne faut pas se hâter de croire à une paix universelle ; le glaive reparaîtra sans aucun doute dans l’histoire des peuples, mais son intervention sera moins fréquente quand les nations se connaîtront mieux. Si cet état de choses s’établit, comme nous l’espérons, les chemins de fer auront pour résultat de créer une cause nouvelle et, bien autrement active de croisement. Ici, la barrière élevée par la conquête n’existe plus ; les peuples sont égaux, les peuples sont les frères d’une même famille.

La guerre se trouvait en outre circonscrite sur un point géographique. Hors les cas assez rares d’invasion en masse, où un peuple venait s’établir sur le territoire d’un autre peuple, la force armée n’exerçait en général qu’une action fugitive. Ces rapports brutaux, ces communications du sabre, les seules que les peuples anciens et modernes aient connues, n’ont fait pour ainsi dire que glisser sur les traits physiologiques des races. Les chemins de fer exerceront au contraire sur le croisement des individus une action constante, sympathique, renouvelée. Les invasions étaient des torrens orageux qui couraient çà et là, et laissaient seulement sur le chemin la trace de leur écume ; les routes nouvelles, en excitant au plus haut degré le besoin des voyages, formeront des irradiations lentes d’étrangers passant d’une contrée à l’autre, et déposant leurs caractères dans le sein des populations alliées.

Quelles seront les suites de ce mélange des races ? Ceci devient une question d’histoire naturelle, entée sur un fait d’économie politique. Cette question, nous allons essayer de la résoudre à l’aide des lumières que nous prêtent les deux sciences. Le règne de la vapeur ne commence que d’hier : si, d’un côté, il semble téméraire de rechercher les résultats éloignés d’une telle force quand l’orbite de son mouvement est encore à peine tracé, il ne faut pas oublier, de l’autre, que la marche de tous les phénomènes de l’industrie et de la nature est soumise à des lois qu’il est possible de dévoiler. « Le caractère essentiel d’un ensemble de connaissances parvenues à l’état de science, disait dernièrement M. de Blainville, est de prévoir, » De telles prévisions ne sont pas stériles ;