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l’avantage du progrès ; les races inférieures, en s’éteignant dans les races supérieures, y déposent des caractères nouveaux, qui deviennent pour celles-ci autant de germes de développemens. Malheureusement la force aveugle intervient presque toujours dans cette œuvre, et enlève violemment du globe les races primitives, avant qu’elles aient eu le temps de se fondre dans la nôtre. On est encore à se demander si la découverte du Nouveau-Monde fut un bienfait pour les générations à venir. Parmi les populations d’Amérique, les unes jouissaient d’une civilisation commencée, les autres étaient sur le point de se mettre en marche vers un état de société, lorsque la race blanche vint à tomber sur elles. Cet évènement arrêta leur progrès. Notre état social, en venant se poser au milieu des tribus sauvages, a été pour elles une cause de stationnement et de ruine. Non contente d’étouffer dans ces tribus des développemens naturels, l’arrivée des Européens fit disparaître par la force des populations entières. Cette race, dont les débris avaient survécu aux cataclysmes de la nature, fut de nouveau abîmée dans la conquête. La brutalité de l’Espagne vis-à-vis des habitans du Nouveau-Monde fut un crime de lèse-humanité que cette puissante nation expie à cette heure par sa déchéance. Qui sait si les germes qu’elle écrasait ainsi sous son pied de fer n’étaient pas nécessaires à la nature pour achever un jour notre race ? Les mêmes attentats se sont répétés et se répètent encore : les Anglo-Américains chassent aux Peaux-rouges sur le territoire de l’Union comme aux bêtes fauves. Les autres races n’ont point été moins maltraitées. Nos colonies européennes n’ont guère été fondées jusqu’ici que par la destruction des indigènes ; une trace de larmes et de sang marque les progrès de l’homme caucasique autour de ce globe dont il aurait dû civiliser les premiers habitans. Tous les jours des chasseurs anglais tuent à coups de fusil des sauvages de la Nouvelle-Hollande pour les donner en pâture à leurs chiens. Au nom du ciel, il faut que cela cesse ! Il est temps que la science dirige ces conquêtes dont la force brutale abuse sans les rendre fécondes. La physiologie nous enseigne qu’il n’existe pas de races insignifiantes, puisqu’elles sont toutes destinées à entrer dans la nôtre. Laissons-les donc se développer à leur aise, au lieu de les refouler dans des déserts où elles périssent ; il y a place pour elles et pour nous sous le soleil. Sans doute la civilisation ne saurait reculer devant l’état sauvage ; mais c’est en renouvelant ses forces dans la nature qu’elle les accroîtra. Toutes les races d’ailleurs sont solidaires, celle qui en détruit une nuit à toutes