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doucement ; c’était la tiède haleine des nuits tropicales, transformée à ces hauteurs en un vent frais et piquant.

— Une pareille nuit offre véritablement l’image du repos, dit le docteur en écartant le rideau de feuillage. Voyez comme les belles constellations de l’hémisphère austral étincellent dans le sud ! N’admirez vous pas la bienveillante nature, qui a fait sortir du sein de l’Océan cette île fertile et gracieuse ?

N’est-ce pas, messieurs, reprit Maurice avec vivacité, n’est-ce pas que notre île est un petit bijou ? Avec ses montagnes et ses ravins, ses plantations et ses forêts, ses volcans et ses rivières, elle semble trois fois plus grande qu’elle n’est réellement ; il y a bien peu d’habitants qui la connaissent dans tous ses recoins, dans tous ses replis. Du côté de la mer, elle est menaçante : il lui faut bien des rochers pour se défendre contre les vagues qui la battent sans cesse ; mais, à mesure qu’on s’éloigne de la plage, on la trouve plus riante, plus verte, plus rafraîchie par les torrents, jusqu’à ce qu’on aborde ces gros mornes chauves où se cachent les sources. C’est par là aussi qu’elle accroche, pendant l’été, les grands nuages qui tomberaient dans l’Océan sans servir à rien. Les noirs qu’on amenait de la côte d’Afrique devaient se trouver trop heureux d’être apportés sur notre île ; d’ailleurs, c’étaient le plus souvent des prisonniers de guerre, destinés à être dévorés par le vainqueur. Ceux de Madagascar devaient s’attendre à être tués à coup de sagaïe, puisque telle est leur coutume de se débarrasser des captifs qu’ils ne peuvent pas vendre. Ne valait-il pas mieux planter des cannes et cueillir la graine de café ? Eh bien ! il était très difficile de leur faire entendre cela. Il y en a qui, à peine débarqués, couraient droit à la montagne ; mais, au bout de quelques jours, on les trouvait, mourant de faim, blottis sous des buissons comme des lièvres, ou bien ils se laissaient acculer au bord d’un précipice d’où ils ne pouvaient vous échapper qu’en se jetant, la tête la première, au fond du ravin. D’autres restaient accroupis au pied d’un arbre, les yeux tournés vers la mer, et refusaient toute nourriture, ne répondant rien aux menaces, insensibles aux coups ; peu à peu, on les voyait s’affaisser, un tremblement fiévreux frappait leurs genoux l’un contre l’autre, et ils mouraient en regrettant un pays où il ne leur était plus permis de vivre.

Quelle désolation de voir des hommes robustes, des femmes dans la fleur de l’age, s’éteindre là comme des arbres frappés par le soleil sans avoir rapporté un sou au maître qui les avait payés si cher !

Quant au Malgache que nous venions d’acheter, il ne paraissait point atteint de cette maladie terrible ; c’était un garçon alerte, actif,