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Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/194

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le secret des votes ? N’est-ce pas le droit du pays de surveiller ses mandataires ? Après tout, quand le député voudrait cacher ses votes, il ne le pourrait pas. La plupart du temps, il serait trahi par les indiscrétions de la presse. Pourquoi dès-lors conserver une arme inutile ? Est-ce le pouvoir qui est intéressé à s’en servir ? Oui, si le pouvoir est faible, si la majorité le soutient par des raisons que le secret doit couvrir ; mais un ministère qui mérite la confiance du parlement doit désirer la publicité des votes. Cette publicité est dans son intérêt. Une adhésion secrète diminue son influence en la rendant suspecte ; une adhésion publique augmente sa force dans le pays.

Ainsi parlent les adversaires du scrutin secret. Ce sont là sans doute des considérations puissantes, et M. Duvergier de Hauranne les a fait valoir avec cette précision et cette netteté de langage qui le distinguent ; cependant il serait dangereux de les admettre d’une manière absolue. Oui, le vote public doit s’introduire dans nos murs, mais le scrutin secret ne doit pas être aboli. Les lois doivent faire la part de la faiblesse humaine. Il ne faut pas céder à un entraînement irréfléchi. Si le scrutin secret est nuisible dans un temps calme, il peut être une ressource précieuse dans des temps de crise. C’est un refuge contre les passions de la foule. D’ailleurs, quand on abolirait le scrutin secret dans le règlement, il revivrait par l’article 38 de la Charte, d’après lequel la chambre, sur la demande de cinq membres, peut se former en comité secret.

La chambre, à notre avis, a pris une résolution très sage. Elle a fait du vote public la règle, et du scrutin secret l’exception. Il y aura désormais trois manières de voter : le vote par assis et levé, le vote par division, et le scrutin secret. Le vote par division, qui fait connaître les suffrages par la couleur des urnes, est le vote public. Il sera de droit pour tous les cas où le règlement avait admis jusqu’à présent le scrutin secret ; et ce dernier ne pourra plus avoir lieu que sur la demande de vingt membres. On comprend qu’ainsi relégué en troisième ordre, le scrutin secret, qui cesse d’être nécessaire pour constater la quotité des suffrages, ne sera plus réclamé que dans des circonstances extraordinaires. Le vote public sera donc le vote d’usage, et avec lui pénétreront dans les habitudes et dans le caractère de la société politique toutes les conséquences que la publicité entraîne. Si ce n’est point là un changement radical, c’est une réforme importante, qui aura des résultats sérieux. Aussi, M. Duvergier de Hauranne a eu le bon esprit de déclarer qu’il l’acceptait, et de prouver par-là au parti conservateur que l’opposition renferme des esprits modérés, qui savent céder à propos, et ne pas s’opiniâtrer dans leurs systèmes.

Mais le ministère, qu’a-t-il fait ? Dire qu’il a combattu vivement la proposition, ce serait aller trop loin. L’a-t-il appuyée ? Encore moins. S’est-il prononcé pour l’opinion de la chambre ? Rien ne le prouve. Quel rôle a-t-il donc joué ? Hélas ! il a tenu la conduite qu’il tient toujours lorsqu’il craint les dispositions de la majorité ; il a suivi une marche oblique, tortueuse, et n’a pu parvenir au but qu’il désirait. Quand la proposition a paru, il ne l’a pas repoussée ; il a même exprimé des sympathies pour le vote public. Quelques fidèles de l’extrême