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étaient l’année précédente, avant qu’il eût traversé le ministère. Libérales et réformatrices encore, elles s’étaient pourtant modifiées au contact du pouvoir et de l’expérience. Néanmoins la chambre des communes ne crut pas pouvoir les sanctionner. Après une longue discussion, les trois résolutions, appuyées par Fox, mais combattues par son collègue lord North, furent repoussées à la majorité de 144 voix. Celle qui avait rejeté, un an auparavant, la première proposition de Pitt n’avait été que de 20 voix. On était alors dans tout l’enthousiasme de la victoire que les whigs avaient remportée en renversant lord North. Depuis, les whigs s’étaient divisés, les esprits s’étaient aigris, bien des inspirations généreuses s’étaient évanouies, ou, si l’on veut, bien des illusions s’étaient dissipées.

La session s’étant terminée bientôt après, Pitt profita de ce moment de repos, le seul, le dernier qui lui fût réservé, pour faire un voyage en France avec deux de ses amis, Wilberforce et Elliot, comme lui membres du parlement. Les détails de ce voyage, que Wilberforce nous a conservés, présentent quelques circonstances piquantes. Les trois jeunes gens, ne sachant que très médiocrement le français, voulurent, avant de visiter Paris et de paraître à la cour, se mettre en état de parler couramment notre langue. Ils allèrent, à cet effet, passer quelque temps à Reims ; mais, comme ils avaient négligé de se munir de lettres de recommandation, ils ne purent d’abord se mettre en rapport qu’avec un très modeste épicier. Ce ne fut pas sans quelque hésitation de sa part qu’ils le décidèrent à les présenter à l’intendant de la province, dont il fournissait la maison. Déjà la police, sachant que trois jeunes Anglais, dont l’un se disait fils du grand lord Chatham, étaient descendus, en assez médiocre équipage, dans une auberge de la ville, commençait à s’inquiéter de leur présence, et voulait s’assurer si ce n’étaient pas des aventuriers. L’intendant les prit sous sa protection et les conduisit chez l’archevêque, qui leur fit un grand accueil. Ce prélat était M. de Talleyrand-Périgord, depuis cardinal et archevêque de Paris. Il avait alors auprès de lui son neveu, le jeune abbé de Périgord, bientôt après évêque d’Autun. Les trois voyageurs se rendirent ensuite à Paris, et furent invités aux fêtes de Fontainebleau, où Marie-Antoinette les reçut avec distinction. Dans le coup d’œil rapide que Pitt put jeter ainsi sur l’état social de la France, une des choses qui le frappèrent le plus, c’est le haut degré de liberté civile dont elle jouissait déjà sans posséder encore la liberté politique.

Il était depuis trois mois sur le continent, lorsque ses amis le rappelèrent précipitamment en Angleterre. Une grande lutte politique