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de pareil dans notre battue ! Mais, bah ! ce n’était pas la peine ; si jamais vous avez connu ce que c’est que d’avoir soif et de chercher à boire dans un lieu inhabité, vous conviendrez avec moi que les dernières gouttes d’eau épargnées par le soleil dans le creux d’un rocher se paieraient aussi cher, à certains moments, que la plus précieuse liqueur. Dans ces cas-là, l’homme se rappelle qu’il n’est qu’une pauvre créature de Dieu, comme le plus petit insecte de la forêt. Heureusement, notre île est si bien arrosée, qu’on a rarement à souffrir de ce côté-là, à moins qu’on ne s’en aille jusqu’à ces réservoirs de feu autour desquels les sources tarissent. Dans les bois du Vieux-Brûlé, on trouve même de jolis bassins transparents qui conservent l’eau long-temps après les pluies. Cependant la fraîcheur, la vraie fraîcheur qui ranime comme un bain, qui repose comme le sommeil, c’est dans les ravins qu’il faut la chercher ; je ne dis pas seulement en hibernage où le ciel n’est plus qu’un arrosoir, où les nuages descendent tout d’une pièce entre les mornes pour nous verser des nappes d’eau à faire déborder les plus petits torrents, mais au milieu de la saison sèche, quand le soleil fait mûrir le café dans sa pulpe, la muscade sous sa triple enveloppe.

Après une journée de marche assez pénible, ce fut dans un de ces ravins que nous nous arrêtâmes, sous de grands takamakas à moitié déracinés qui se penchaient au-dessus de l’abîme en attendant qu’une trombe les y précipitât. Çà et là, au-dessus des framboisiers qui aiment l’ombre, s’élançaient les fougères en arbres dont les longues feuilles découpées, détachées du tronc et disposées en cercle, ressemblent à ces soleils d’artifice qu’on fait partir dans les villages aux jours de fête. Au-dessus de nos têtes, par l’ouverture où se montrait une large bande de ciel aussi bleu que la mer dans les baies, nous voyions les tiges des palmistes remuées par les vents, s’agiter comme des panaches de plumes à l’entrée de la plaine. Il ne nous restait plus qu’à monter pendant quelques heures pour arriver sur le plateau où campaient les noirs ; mais le gibier que nous cherchions y était-il encore !? Voilà ce qu’il fallait savoir ; un jeune homme de la troupe se chargea d’aller à la découverte, et il devait nous faire un signal de monter après lui en jetant un caillou dans le ravin.

— Si Quinola est avec eux, disaient quelques-uns d’entre nous, on ne trouvera que le nid, les oiseaux seront envolés.

— Bah ! répondaient les autres, si Quinola vivait encore, on le verrait dans les bandes !

— Les noirs qu’on avait repris depuis plusieurs années affirmaient qu’il habitait la montagne, mais que, comme il était habile dans les sortilèges, il savait se