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encore raison à ses ennemis en ajournant le vote des fonds de l’artillerie qui devait avoir lieu ce jour-là même.

Ce ne furent pas des motifs de prudence, des pensées de modération, qui empêchèrent le parti whig de recourir à l’arme terrible du refus des subsides ; ce fut l’impossibilité d’entraîner dans cette voie les indépendans, les propriétaires campagnards, en un mot ce comité de Saint-Alban, dont le concours était indispensable pour assurer la majorité à l’opposition. Ces hommes, essentiellement amis de l’ordre, reculaient devant une pareille extrémité. Après une mûre délibération, ils se résolurent à accorder les fonds nécessaires au service public, tout en continuant à voter des résolutions de telle nature qu’il dût en sortir un ministère de coalition, objet constant de leurs rêves.

Leur orateur ordinaire, Powis, présenta un projet d’adresse au roi, dans lequel il était dit que la chambre, confiante dans la sagesse de S. M., ne doutait pas qu’elle ne prît des dispositions pour donner suite aux vœux humblement manifestés par ses fidèles communes. Eden proposa de demander par la même adresse qu’on écartât tout ce qui faisait obstacle à la formation d’un nouveau cabinet ; c’était demander le renvoi préalable des ministres. A l’appui de cette motion, Fox recommença ses déclamations habituelles contre un ministre nominal qui n’était, à l’en croire, qu’un mannequin mis en mouvement par une influence secrète. Il prétendit qu’on se jouait du peuple en traitant comme on le faisait la chambre des communes, qui en est la véritable représentation. Ces violences fournirent à Pitt l’occasion d’un des plus beaux discours qu’il ait jamais prononcés. Bien décidé à ne pas reculer, à ne plus faire de concessions, et encouragé par les symptômes croissans de la réaction populaire qui s’opérait en sa faveur, il sortit enfin de ce ton de réserve prudente et modeste dans lequel il s’était jusqu’alors renfermé. Il signala avec force la tendance anarchique des doctrines proclamées par l’opposition. Il défendit avec autant d’énergie que de logique les droits de la prérogative royale, cet élément nécessaire de l’équilibre constitutionnel, cette précieuse garantie des droits du peuple. Il montra l’opinion publique s’éclairant par les excès de l’opposition, et la popularité abandonnant rapidement ces hommes que naguère encore on portait en triomphe comme les défenseurs de la liberté. Son langage, tantôt élevé, brillant, magnifique, tantôt tout acéré d’ironie et de sarcasmes, prit le caractère d’une éloquente indignation lorsqu’il vint à parler des conditions humiliantes qu’on avait prétendu lui imposer avant de consentir à traiter avec lui : « Non, dit-il, je n’abandonnerai pas la position que