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j’occupe pour me livrer à la merci de mon honorable adversaire. Il m’appelle un ministre nominal, le mannequin d’une influence secrète. C’est parce que je ne veux pas devenir, en effet, un ministre nominal de sa façon, c’est parce que je ne me soucie pas de devenir entre ses mains un véritable mannequin, que je ne donnerai pas ma démission. Je n’admets certes point que le terrain sur lequel je suis établi soit celui d’une influence corrompue, mais ce terrain, quel qu’il soit, je ne le quitterai pas pour me placer sous son patronage, pour accepter de lui mon investiture, et devenir, à sa suite, un misérable ministre, condamné, par cette amende honorable, à l’humiliation, à l’impuissance, dénué de toute force et incapable de faire aucun bien. Si, comme il le prétend, je me suis dégradé jusqu’à devenir le mannequin et le favori de la couronne, comment pourrait-il consentir, à quelque condition que ce fût, à s’associer à moi ? Si ce qu’on craint en moi, c’est une trop grande part dans la confiance du roi, pense-t-on que cette part s’affaiblirait beaucoup parce que je resterais deux jours hors des affaires ? Ce qu’on se proposait par de telles offres, c’était, si j’avais été assez aveugle pour donner une démission dans la vaine espérance de redevenir bientôt un ministre véritable, c’était tout à la fois de me rendre un objet de dédain et de ridicule pour mes ennemis, et de m’enlever l’estime de ceux dont le concours m’a soutenu jusqu’à présent… Ce n’est pas par mépris de la chambre, par amour du pouvoir, par point d’honneur personnel que je persiste à refuser de quitter mon poste ; c’est parce que je crois que la situation du pays me fait un devoir de le défendre comme une forteresse. »

Malgré ces éloquentes paroles, 197 voix contre 177 adoptèrent la proposition de Powis avec l’amendement d’Eden. L’adresse, dont on venait par ce vote d’adopter le principe, fut portée au roi dans la forme accoutumée. Le roi y fit deux jours après une réponse dans, laquelle il disait qu’il désirait vivement mettre un terme aux dissensions publiques, mais qu’il ne pensait pas que le renvoi des ministres fût un moyen d’y parvenir, puisqu’on ne lui alléguait contre eux aucun grief positif, et que beaucoup de personnes lui témoignaient, au contraire, leur satisfaction du dernier changement de cabinet. Fox, qui ne put dissimuler son dépit, proposa une nouvelle résolution très, longuement développée, pour supplier le roi de poser les bases d’un gouvernement fort et stable par l’éloignement préalable de ses conseillers actuels. La discussion, qui ne fit guère, de part et d’autre, que reproduire des argumens déjà usés, fut pourtant longue et animée : Pitt y prit part en protestant de son profond respect pour les