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noirs, ses pieds d’Andalouse, coudoie l’Anglaise à la taille guindée, aux yeux baissés, aux cheveux cuivrés, aux pieds à dormir debout. Matelots siciliens demi-nus, officiers anglais de toute arme en uniforme, Levantins en costumes orientaux, marchands affairés, brillans équipages qui roulent, jolis chevaux barbes qui secouent en galopant leurs longues crinières, dandies qui posent et pauvres qui se cachent, tout se mêle, se presse et se confond autour de vous. Cette foule parle toutes les langues. On entend auprès du sifflement de l’Anglais la voix éclatante d’un Français, et un Arabe de Tunis cause gravement à côté d’un Italien qui gesticule. Les boutiques sont remplies de marchandises de tous pays ; tailleurs de Londres, parfumeurs de Paris, cafetiers grecs et colporteurs de Smyrne vivent en bonne intelligence dans la Grande-Rue. De beaux hôtels d’excellente apparence et fort bien tenus étalent de tous côtés aux yeux des voyageurs leurs enseignes rivales. La vie, à Malte, est facile, peu coûteuse et aisément élégante. Un grand nombre d’officiers anglais, jeunes et riches, s’y dédommagent de leur séquestration par toutes les jouissances du luxe, et conservent des habitudes de bien-vivre que les chevaliers, d’ailleurs, avaient importées dans l’île avant eux. Une quantité de voyageurs arrivant de tous les coins du monde, et forcés de séjourner dans l’île, soit pour attendre des navires, soit pour purger leur quarantaine, donnent un grand mouvement aux hôtels et un grand débit à toutes les menues compensations qui peuvent faire oublier les privations et l’ennui d’une longue traversée. On ferait un excellent cours de géographie et de commerce en suivant avec soin les conversations souvent fort intéressantes qui se tiennent à Malte autour des tables d’hôtes.

On a bientôt visité la ville, elle n’est pas grande, et matériellement elle n’est pas curieuse. Ce sont moins des monumens qu’il faut y chercher que des souvenirs. Le palais des grands-maîtres, devenu celui du gouverneur, est une masse de pierres lourde, carrée et aussi solide qu’inélégante. Si l’on visite l’arsenal, c’est purement par acquit de conscience et parce qu’on est à Malte. Tous les arsenaux se ressemblent, et celui-là ne possède pour toute particularité que dix ou vingt armures de chevaliers bien inférieures assurément, sous tous les rapports, aux panoplies les moins curieuses que renferme le musée d’artillerie de Paris, auquel nous ne songeons guère. L’église de Saint-Jean, plus célèbre et citée par tous les voyageurs comme un monument curieux, n’est remarquable, à mon sens, que parce qu’elle est seule, et surtout parce qu’elle contient les tombeaux des chefs de