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cette corporation vaillante qui a immortalisé Malte. Les fortifications si fameuses de la ville ont de l’attrait, j’imagine, pour les hommes du métier ; mais, pour ma part, je ne vois en elles que de longues murailles froidement alignées, régulièrement percées de meurtrières et bien garnies de canons. Le voyageur enclin aux investigations artistiques n’a rien à chercher en tout cela, et, souvenirs à part, la ville de La Valette n’est à ses yeux qu’une forteresse, rendez-vous général des bateaux à vapeur de la Méditerranée.

La campagne de Malte est curieuse, en ce qu’elle est tout artificielle. Quand on sort pour la première fois de la ville, on s’arrête un instant avec surprise, tant ce qu’on aperçoit est étrange et ressemble peu à un paysage. Devant vous s’étend un immense champ de craie, sans ombre et sans végétation. Pas un arbre, pas un bouquet de verdure n’apparaît dans cette plaine blanche et désolée que la mer entoure. Une infinité de petits murs sont les seuls obstacles que rencontre le regard, on dirait d’immenses ruines déblayées et mises en ordre. Pour plus de ressemblance, on voit s’élever à chaque bouffée de vent des tourbillons de poussière qui se joignent, pour vous aveugler, à l’insupportable éclat du soleil, dont ce sol éclatant répercute les rayons au centuple. Cette terre, en apparence si aride, est pourtant loin d’être improductive ; à force d’industrie ; les habitans de ce roc désolé ont fait mentir la nature. Dans certains endroits, qui sont aujourd’hui les plus fertiles de l’île, tels que la Floriane et le jardin du gouverneur, la terre végétale manquait complètement : les Maltais sont allés emprunter un sol à la Sicile ; ils ont apporté des environs de Syracuse et étendu sur la surface polie de leur rocher une couche de terre productive. Cette méthode, qui pouvait être employée avec succès par quelques riches propriétaires et pour des jardins d’agrément, était trop coûteuse pour les pauvres paysans ; à défaut d’argent et de bateaux pour transporter la terre, ils s’ingénièrent, et voici comment ils sont parvenus et parviennent encore tous les jours à créer un terrain tout-à-fait artificiel. Après avoir tracé sur le sol le plan du champ qu’ils veulent créer, ils enlèvent le rocher par quartiers, ou plutôt par pavés, avec des coins de fer, en ayant soin de recueillir les parcelles de terre que renferment les fissures et les interstices. Le sol ainsi creusé, ils étendent par couches cette terre mêlée de poussière de rochers jusqu’à la hauteur d’un pied et demi ; puis ils mouillent ce terrain et le laissent exposé pendant un an à l’air et au soleil. Avec les carrés de pierre enlevés, ils construisent ces murs de deux mètres de haut, dont toute l’île est couverte et qui garantissent