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je sortis de cette masse d’ombre que les cimes voisines projetaient sur le ravin, et le soleil m’éblouit ; le cœur me battait violemment parce que j’avais marché trop vite, et aussi parce que j’allais aborder le plateau des Palmistes, c’est-à-dire le camp des noirs marrons.

À cette heure-là, les brigands doivent dormir, pensais-je en moi même ; mes compagnons auront le temps d’arriver avant qu’ils se remettent en campagne. Nous sommes sûrs de les atteindre.

— Et je me glissai avec précaution à travers les bois noirs : il y avait çà et là des branches cassées ; l’herbe était foulée autour de moi ; tout m’annonçait que j’approchais du camp, et j’en eus bientôt la preuve. Comme j’allongeais la tête sous les broussailles, en écartant d’une main des racines qui semblaient entortillées exprès pour faire tomber les passants, mon genou se posa sur une pointe de bois, et je ressentis une si vive douleur que je m’arrêtai tout court. Ces petits bâtons bien aiguisés, durcis au feu et plantés dans les sentiers qui conduisent à leurs camps, sont une terrible défense dont les nègres tirent un grand parti : si cette maudite invention n’arrête pas les patrouilles, au moins elle les force à marcher avec précaution, et met ainsi les fugitifs à l’abri d’une attaque subite. Un homme, un blanc qui porte un fusil sur son épaule, être mis hors de combat pour quelques lignes d’un morceau de bois qu’il s’enfonce dans le talon !… quelquefois même rester infirme pour toute sa vie, traîner le pied devant ses esclaves qui rient en cachette et ont l’air de dire : « Quand je me sauverai à mon tour, ce ne sera pas toi qui viendra me prendre ! » c’est bien humiliant !

Ma blessure saignait beaucoup ; je la liai avec un mouchoir, après m’être frotté d’eau-de-vie tout le genou, et je n’avançai pas davantage ; j’aurais même donné quelque chose pour avoir fait un pas de moins. Puis, je ne sais si les oreilles me tintaient par l’effet de la douleur, mais il me sembla entendre rire à mes côtés. J’écoutai avec attention ; une voix qui ne m’était pas tout à fait inconnue parlait en s’éloignant… J’arme mon fusil, j’essuie la pierre, je la rafraîchis en frappant dessus avec mon couteau, et je me hasarde sur la lisière du bois. Ce que j’aperçus dans la plaine, messieurs, j’aurais cru le voir en rêve, si le soleil qui étincelait de toutes parts ne m’eût forcé de reconnaître que j’avais bien les yeux ouverts. Figurez-vous une trentaine de noirs groupés çà et là au pied des palmistes, les uns tout nus, les autres vêtus d’une couverture nouée sur les épaules, comme les Hottentots du Cap ; ceux ci coiffés d’un chapeau sans bords et habillés par en haut d’un gilet sans manches, ceux-là serrés dans un pantalon auquel il manquait une jambe. Pour la plupart, ils tenaient