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le nombre des abandons. A Paris, il fut arrêté qu’aucun enfant ne pourrait être admis à l’hospice que sur un procès-verbal du commissaire constatant les circonstances de l’abandon ; loi fut faite à toute femme accouchée dans un hôpital de nourrir son nouveau-né, à moins d’empêchement déclaré par les médecins. A-t-on obtenu de ces innovations le bénéfice espéré ? Avant la réforme, le nombre des admissions dépassait souvent 6,000, et ce nombre, quoique réduit par une mortalité de 1 sur 9, laissait à la charge des hospices prés de 16,000 enfans. Les mesures restrictives occasionnèrent d’abord un abaissement de 1,727 individus sur les entrées : le nombre des pensionnaires à la campagne diminua proportionnellement, de sorte que la dépense, à raison de 108 francs par tête, tomba en peu d’années de 1,708,000 francs à moins de 1,500,000 francs ; mais peu à peu le chiffre des abandons reprit sa progression désolante. Chaque année voit amoindrir les bénéfices obtenus en 1837 par les moyens de rigueur. L’autorité cherche à s’expliquer ce triste symptôme par l’affluence qu’attirent à Paris les chemins de fer, le travail des fortifications, l’excessive garnison. Nous croyons aussi que dans la classe de ces malheureuses qui peuplent les hospices de leurs enfans, on s’est résigné à un peu plus de honte. En 1843, les admissions des enfans abandonnés, orphelins, ou seulement déposés, se sont élevées à 5,871. D’après les derniers documens, les pensionnaires âgés de moins de douze ans et placés à la campagne aux frais de l’administration étaient au nombre de 12,839 ; on comptait en outre 8,650 élèves hors pension, en tutelle jusqu’à leur majorité.

Signalons en passant un triste exemple de cet égoïsme local qui aboutit dans une sphère plus haute à ce qu’on appelle la politique de clocher. Sur l’ordre formel du ministre de l’intérieur, une somme de 5,500 francs, applicable aux frais d’inhumation des enfans décédés en nourrice, avait été retranchée du budget parisien pour laisser les frais de sépulture à la charge des communes rurales où les décès auraient eu lieu. Eh bien ! cette mesure occasionna partout les plus vifs mécontentemens ; dans plusieurs communes, les maires et les curés réduisirent les nourrices à la triste alternative de payer les prières de l’église, le prix du cercueil et le salaire du fossoyeur, ou bien de laisser sans sépulture, comme des bêtes mortes, les cadavres des pauvres petits enfans confiés à leurs soins. Beaucoup d’officiers municipaux ont déclaré, par paresse sans doute, qu’ils ne délivreraient plus le certificat exigé des femmes qui viennent à Paris chercher les enfans trouvés.