Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/399

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Estrées et Cabaret, Vivonne et Duguay-Trouin, traversaient en triomphateurs l’Océan et la Méditerranée ; dix mille Bretons, gentilshommes et paysans, mêlés et confondus, couraient à Belle-Isle, y tombaient sur les Anglais déjà débarqués, les forçaient à lâcher prise et les jetaient à la mer.

Un code fut donné à la marine française dans une suite d’ordonnances dictées par le sentiment national et par la sagesse pratique. Ces ordonnances, signées Colbert, consacreront à jamais non-seulement la mémoire de ce ministre, mais celle de Colbert de Seignelay, qui peut-être avait plus de génie naturel que son père. Seignelay était un homme de tête et de main, d’une ambition passionnée, mais d’un patriotisme plus passionné encore : instruit, actif, infatigable, informé de tout, présent à tout, visitant sans cesse les arsenaux et les ports, faisant bombarder Gênes sous ses yeux, aimé des femmes, plus aimé des matelots. Heureux le fils de Colbert, si, moins semblable à Barbezieux, à Brienne, à tous ces enfans-ministres de Louis XIV, il n’avait noyé dans l’ivresse des plaisirs la peur continuelle du maître, et si, moins ardent à soupirer pour un duché, pour un collier de l’ordre, surtout pour un regard du roi, ce beau, ce brillant, ce généreux Seignelay n’avait négligé de devenir un grand homme à force de vouloir être un grand seigneur ! Quoi qu’il en soit, malgré ses faiblesses et la brièveté de sa carrière, c’est à lui qu’est due l’ordonnance du 15 août 1689. Profondément modifiée depuis, elle n’en est pas moins la base de la législation qui gouverne encore notre marine.

A la dynastie glorieuse des Colbert succéda celle des Phélypeaux ; ère de décadence, peu sensible encore sous le chancelier de Pontchartrain, chef de cette famille, mais flagrante sous le second des Pontchartrain, fils du chancelier, et sous Maurepas, son petit-fils. C’est à l’âge de quinze ans que Maurepas prit le ministère de la marine ; le duc de Saint-Simon se vante d’y avoir contribué. Par une inconséquence qui appartient à l’époque plus qu’à l’homme, Saint-Simon sacrifia l’état, qu’il aimait, à des intérêts de coterie, qu’il méprisait. Un enfant était trop faible pour rétablir la marine de France ; une main plus habile releva notre fortune commerciale. Cette restauration s’accomplit, pour quelque temps du moins, sous la régence ; elle fut le résultat immédiat des opérations de Law, qui forma la nouvelle compagnie des Indes des restes de l’ancienne créée par Colbert. Celle-ci, nous l’avons dit, était tombée dans un état déplorable ; elle avait même cessé de faire le commerce et de mettre des vaisseaux à la mer, crainte de les voir saisis par ses créanciers. Law attribua la ferme du