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vif regret. Conquérant sans le savoir, il ne songeait qu’à rester le plus long-temps possible à Paris. Qui s’en étonnerait ? n’était-ce pas alors le Paris de la régence, le Paris du système dans toute sa fleur ? Ce moment si court devait être bien brillant. L’enivrement n’avait pas de frein ni l’espérance de limite. Law, converti à la religion catholique et surtout au portefeuille des finances, était devenu contrôleur-général. Encombrée à l’égal de la rue Quincampoix, sa maison de la place Vendôme[1] s’ouvrait avec difficulté à des agioteurs de tous les rangs, et les plus grandes dames, perdues dans cette foule solliciteuse, n’obtenaient un regard du ministre qu’en se faisant verser devant sa porte. Law était le vrai successeur de Louis XIV. Le spectacle d’une telle audace couronnée par un tel succès doit avoir exercé une influence décisive sur l’imagination du jeune Dupleix. Il avait vivement apprécié les merveilles encore intactes du système. Malgré sa jeunesse, il avait compris ce que peut la volonté soutenue par le courage. Il avait surtout admiré ce qu’il y a de force créatrice dans les combinaisons du calcul ; enfin l’exemple nouveau de la puissance politique comme résultat de l’habileté financière avait dû agir fortement sur son esprit. En se rappelant que Dupleix avait quitté la France en plein Mississipi, on comprendra bien mieux sa carrière. Il était parti pour l’Inde emportant sur son front le souffle aventureux de l’Écossais.

Son début fut convenable, mais n’eut rien d’extraordinaire. Par le crédit dont jouissait son père dans la compagnie, dont peu après il devint directeur, Joseph Dupleix fut nommé d’emblée membre du conseil supérieur de Pondichéry. Pendant les premières années de son séjour dans cette ville, il ne put déployer que les qualités d’un agent inférieur ; mais, initié peu à peu aux détails de l’administration, il se prépara en silence au grand rôle qu’il joua plus tard. Par un bonheur assez rare pour les hommes destinés à paraître au premier rang lorsqu’ils sont encore retenus dans les derniers, il trouva des chefs bienveillans. Lenoir, Dumas, successivement gouverneurs de Pondichéry, n’entravèrent point sa destinée ; loin de là, ils en secondèrent l’essor. Après dix années de stage, le jeune conseiller fut nommé directeur du comptoir de Chandernagor dans le Bengale, dépendant du gouvernement général de l’Inde française. Dès que Dupleix sortit de tutelle, son génie parut. L’influence de la métropole était depuis long-temps perdue dans ces contrées ; à peine en conservait-on le souvenir. Dupleix la releva soudain il fit renaître, comme

  1. Aujourd’hui l’hôtel de l’intendance de la liste civile.