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entretenus à flot pour faire face aux premiers besoins. Quant à notre inscription maritime, bien qu’on se plût à conserver de singulières illusions à cet égard, on ne se dissimulait point cependant qu’elle fournirait difficilement à l’armement d’une flotte aussi considérable ; on pensa donc à faire entrer dans les cadres de nos équipages une assez grande proportion d’hommes empruntés au recrutement pour combler les vides qu’y avaient laissés la perte de nos colonies et la diminution de notre commerce maritime.

Si le métier de la mer n’était quelque chose de si exceptionnel et de si rude, de si peu semblable à ce qui se passe sur la terre ferme ; s’il ne demandait à chaque instant, de la part de l’homme qui s’y consacre, tant de mépris du danger et d’habitude de le braver ; si c’était chose, qui pût s’apprendre à tout âge que d’aller par une nuit froide et sombre, la pluie et le vent au visage, étouffer au haut d’un mât qui plie et tremble une voile sur laquelle les ongles ne peuvent trouver prise, et qui, en se débattant, menace à tout moment de vous précipiter à la mer ; si ces conscrits que nous savons habiles, après quelques mois d’exercice ou de campagne, à aborder une brèche ou une redoute, avaient aussi bien pu se faire le pied et le cœur marin ; s’ils n’eussent au contraire constamment témoigné une répugnance extrême, et que rien n’a pu vaincre encore, pour une profession en dehors de toutes leurs habitudes, l’espoir qu’on avait conçu de trouver dans cette combinaison les élémens d’un développement presque illimité pour notre puissance navale n’eût été ni trop vaste, ni trop ambitieux. Malheureusement de pareils plans, si ingénieux qu’ils soient, supportent mal l’épreuve de la pratique : ils sont plutôt faits, dans leur dogmatisme absolu, pour rester à l’état de vérités mathématiques que pour produire un résultat efficace et utile. Dans toutes les occasions où la force physique et le nombre suffisaient, pour les manœuvres de rade, ou pour celles qui s’exécutaient sous voiles avec un temps maniable, nos équipages, ainsi constitués, suppléaient par leur ardeur, par leur vigueur même, à ce qui leur manquait du côté de l’instruction et de l’habitude de la mer ; mais quand venaient les momens d’épreuves, les longues nuits orageuses, les coups de vent dans des bassins étroits, quand il fallait naviguer dans des mers dures, sous des climats rigoureux, échanger ces stations où la plus rude saison de l’année se passait communément à l’ancre pour le pénible service d’une croisière dans la mer du Nord et à l’embouchure de l’Escaut, les inconvéniens de l’organisation mixte qui avait été adoptée se faisaient sentir à l’instant. Les seuls hommes, en effet, dont le