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de la chambre des communes, y prononça lui-même une défense écrite dont la lecture remplit trois séances, et le débat s’engagea successivement sur les divers faits qui lui étaient imputés.

Nous ne raconterons pas en détail ces immortelles discussions, qui portèrent plus haut encore, s’il est possible, la gloire de Burke, qui fondèrent la renommée de Sheridan, et auxquelles Fox prit une part si éclatante. Les deux premiers chefs d’accusation ayant été écartés par une forte majorité, on commençait à croire que Hastings sortirait vainqueur de cette épreuve, lorsque Pitt demanda la parole sur un troisième fait soumis à l’appréciation de la chambre. Il s’agissait des procédés tyranniques que le gouverneur avait mis en usage pour arracher au rajahh de Benarès des contributions excessives, et qui avaient poussé ce malheureux prince à une résistance dont on s’était ensuite fait un titre pour le dépouiller complètement. Pitt, avec une modération affectée, commença par blâmer l’âpreté passionnée que les accusateurs portaient dans l’accomplissement de leur pénible tâche : il s’efforça ensuite de prouver, contrairement à leurs assertions, le droit qu’avait eu Hastings d’obliger le rajah à contribuer aux frais d’une guerre dans laquelle la compagnie était alors engagée ; mais il avoua qu’il avait abusé de ce droit incontestable, et que l’abus avait été porté au point de constituer une intolérable oppression. Il se déclara donc forcé de reconnaître, à son grand regret, qu’en cette circonstance Hastings s’était placé sous le coup de la loi. Cette déclaration inattendue produisit un effet décisif. Le chef d’accusation que Pitt venait d’appuyer fut admis à une forte majorité ; la plupart des autres le furent également. Hastings, envoyé devant la chambre des lords, y subit un procès solennel qui, après sept années, lorsque l’attention publique s’en était depuis long-temps détournée, se termina par un acquittement, mais qui détruisit son immense fortune, réduisit sa vieillesse à l’unique ressource d’une pension allouée par la reconnaissance de la compagnie des Indes, et lui ferma pour jamais les voies brillantes qui avaient semblé s’ouvrir à son ambition. Les hommes pour qui le crime est suffisamment excusé lorsqu’il a contribué à la grandeur de la patrie présentent aujourd’hui Hastings comme un exemple de l’ingratitude des nations. Ceux qui, se plaçant à un point : de vue plus élevé et plus juste, ne voient qu’une circonstance atténuante dans ce qui paraît aux autres une complète justification, pensent que l’équité est satisfaite par la destinée qui, dérobant Hastings au châtiment de ses forfaits, lui en a fait perdre les fruits et l’a condamné à de si longues angoisses.