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autorité, avait vu celui qui devait lui succéder se lier avec les chefs de l’opposition, embrasser ouvertement leurs principes, se gouverner par leurs conseils et entretenir avec eux des rapports habituels de société. Le prince ayant contracté des dettes considérables, que pouvait faire excuser jusqu’à un certain point l’exiguïté de la pension assignée pour son entretien sur les fonds de la liste civile, le roi refusa d’intervenir pour le tirer d’embarras. Le prince se vit réduit à fermer sa maison, et il prit, avec quelque affectation, des mesures de réforme qui semblaient avoir surtout pour but de proclamer sa détresse. Un député de l’opposition interpella les ministres pour savoir s’ils ne comptaient pas proposer à la chambre les moyens de faire cesser une situation si peu décente. Pitt, enchaîné par la volonté du roi, répondit qu’il n’avait pas d’ordres à cet effet, et bientôt, pressé de nouveau de s’expliquer, il menaça, si on insistait davantage, de révéler certaines circonstances qu’il aimerait mieux, dit-il, tenir secrètes. Un des plus chauds adhérens du cabinet, allant, suivant toute apparence, au-delà des intentions du ministre, se permit une allusion très claire à un bruit alors fort répandu, celui d’un mariage secret contracté par le prince de Galles avec une catholique, la belle mistriss Fitz-Herbert, qu’il aimait passionnément. Aux termes de la constitution, ce fait, s’il eût été avéré, lui eût enlevé ses droits à la couronne, et le seul soupçon suffisait pour éveiller dans un grand nombre d’esprits des inquiétudes dangereuses. Les partisans du prince, Sheridan, son familier le plus intime, Fox lui-même, qui se déclara autorisé à parler en son nom, repoussèrent avec indignation, et comme une grossière invention de la malveillance, un bruit que cependant on croit aujourd’hui n’avoir pas été dépourvu de fondement ; ils provoquèrent des éclaircissemens, et, pour faire voir qu’on ne les avait pas intimidés, ils présentèrent le projet d’une adresse au roi dans laquelle on l’eût supplié de proposer à la chambre les moyens de secourir la détresse financière de son fils. D’un autre côté, l’orateur dont l’allusion périlleuse avait causé une si vive émotion, loin de s’en effrayer, ne parlait de rien moins que de dire la vérité tout entière. Vainement Pitt s’efforçait de calmer l’irritation réciproque en protestant qu’on avait mal compris sa pensée, et que les révélations qu’il avait laissé entrevoir n’avaient trait qu’à des circonstances purement pécuniaires. Les esprits s’animaient de plus en plus. Du parlement, la question avait passé dans les journaux, dans les salons où les amis de mistriss Fitz-Herbert, indignés du rôle que lui faisaient jouer les dénégations de son royal amant, affirmaient la réalité du mariage et nommaient même