Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/560

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vint le mettre momentanément dans l’impossibilité de donner suite à ce projet. Pitt lui-même se chargea de le suppléer. Déjà il avait appelé l’attention du conseil privé sur la question de la traite. Le 9 mai 1788, il proposa à la chambre des communes de s’engager, par une résolution formelle, à prendre cette matière en considération à l’ouverture de la session suivante, promettant de mettre alors sous ses yeux les résultats de l’enquête du conseil privé qu’on aurait eu le temps de terminer. Burke et Fox applaudirent vivement à cette proposition, qui ne rencontra presque aucun contradicteur. Sur la motion de sir William Dolben, un bill fut voté à une très forte majorité pour limiter le nombre des noirs qui pourraient être reçus à bord de chaque bâtiment négrier, et régler la manière dont ils y seraient traités. En attendant qu’on pût faire disparaître la traite, on s’empressait ainsi d’en adoucir les effets les plus cruels. Les esprits semblaient alors unanimes pour cette œuvre d’humanité.

Jamais la situation de l’Angleterre n’avait été plus prospère, jamais ministère n’avait paru mieux établi dans la possession du pouvoir que l’opposition même semblait ne plus penser à lui disputer. Un évènement aussi terrible qu’inattendu vint tout à coup détruire cette sécurité et réveiller les espérances des partis. George III ressentit la première atteinte, ou du moins la première atteinte publique, de la cruelle maladie qui finit par anéantir complètement sa raison. Au bout de quelques jours, on le crut assez bien rétabli pour qu’il pût tenir un lever, mais son attitude inquiète et égarée pendant cette cérémonie prouva qu’on avait trop compté sur une amélioration passagère, et bientôt son état devint tel qu’il fallut renoncer à toute dissimulation. Des prières publiques eurent lieu dans les églises pour le rétablissement de, sa santé. On était alors au commencement de novembre 1788. Le parlement, séparé depuis quatre mois, devait, suivant les termes de l’acte de prorogation, se rassembler dans peu de jours, et dans cette vacance de l’autorité royale qu’aucune loi n’avait prévue, nul n’avait le droit de rapprocher ni d’éloigner ce terme. Il est facile de comprendre avec quelle anxiété le jour de la réunion du parlement était attendu. Sur la première nouvelle de la maladie du roi, les chefs des divers partis étaient accourus à Londres. Fox, qui voyageait sur le continent, vint, sans perdre un moment, se réunir à ses amis. L’opposition, qui jusqu’alors, en présence d’un roi de cinquante ans et d’une santé vigoureuse, n’avait pu fonder que des espérances bien éloignées sur les relations intimes qu’elle avait formées avec l’héritier du trône, croyait toucher enfin au terme de son long exil du pouvoir.