Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/627

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maîtres de l’éloquence, nous estimons néanmoins plus que d’autres personnes cette parole nette, contenue, maîtresse d’elle-même, qui est, après tout, le langage des affaires. Nous doutons cependant que M. Duchâtel soulevât moins d’orages que M. Guizot s’il venait défendre à la tribune un nouveau Pritchard, ou un nouveau traité pour l’extension du droit de visite. Qu’en pense M. Duchâtel ? Croit-il que l’épreuve soit bonne à faire ?

Pour son début, comme ministre dirigeant, M. Duchâtel va rencontrer dans deux jours la question religieuse. Jusqu’ici aucune question intérieure n’a démontré plus visiblement l’imprudente faiblesse du cabinet. Depuis quatre ans, les envahissemens du clergé, les attaques dirigées par l’épiscopat contre les lois du royaume et les corps constitués, les progrès d’une société fameuse qui cherche à dominer l’église pour dominer l’état, tout annonce des projets hostiles ; le gouvernement reste muet et impassible. Un projet sur l’instruction secondaire est présenté : le cabinet n’ose pas le défendre, et la cause de l’état passe entre les mains de M. Cousin et de M. Thiers, bien dignes du reste de la soutenir. Il y a des lois contre les jésuites ; elles ne sont pas exécutées. Pourquoi ? parce que la conscience de M. Martin du Nord hésite. Il n’aperçoit pas encore le danger. L’Italie, la Belgique, appartiennent aux jésuites ; le sang coule à Lucerne pour leur cause ; déjà, en France, les passions s’éveillent ; elles s’animent jusque dans la chaire ; ces avertissemens ne suffisent pas. Il a fallu que l’honorable M. Thiers, prenant en main cette grande question, tirât le pouvoir de sa coupable indifférence ou de son oubli. Le nom des jésuites va donc enfin être prononcé à la tribune de la chambre des députés. Nous croyons la chambre bien préparée pour ce jugement solennel. Elle ne permettra pas les déclamations ; elle jugera sans passion et sans colère. Surtout, elle sera pleine de respect pour la religion, pour le clergé catholique, qui doivent être écartés autant que possible de ce débat.

A notre avis, la question devrait se réduire à des termes bien simples. Nos lois repoussent les jésuites ; le gouvernement est responsable de l’exécution des lois : qu’il s’explique. Le jésuitisme, caché sous l’aile des doctrines libérales, viendra invoquer le principe de la liberté des cultes ; déjà M. de Gasparin, en repoussant l’autorisation préalable de l’état pour l’exercice public du culte protestant, a donné aux défenseurs des jésuites un argument dont ils s’empareront. Il a fait l’exorde de leurs discours. Les deux questions, en effet, sont les mêmes. Si l’on accordait l’inviolabilité aux protestans, il faudrait l’accorder au culte catholique, et laisser les jésuites se réunir partout où ils voudraient, en pleine liberté. Mais pourquoi le culte protestant jouirait-il d’une liberté absolue ? pourquoi l’état n’aurait-il pas sur lui le droit d’autorisation et de surveillance ? Vous dites que vous êtes un culte, qui me le prouve ? qui m’assure que, sous un masque religieux, vous ne couvrez pas les doctrines les plus irréligieuses du monde et les plus contraires à la morale ? qui me dit que vous ne conspirez pas ? Singulière erreur de ne pas voir que ce droit d’autorisation préalable est la sauve-garde de la