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La question sera reprise plus tard, si cette jurisprudence ne produit pas les effets qu’on en attend.

La discussion des crédits supplémentaires a amené un incident qui complique la position du cabinet. La question de Taïti est loin d’être vidée. Serait-il vrai que la reine Pomaré se refuse à reprendre possession de la souveraineté de son île ? Malheureusement, les explications embarrassées de M. le ministre de la marine n’ont fait que confirmer ces bruits ; il résulte même de la teneur des instructions envoyées par le gouvernement à un agent de Taïti, et dont M. de Mackau a donné lecture à la tribune, que nous nous trouvons, vis-à-vis de la reine Pomaré, dans une position tout-à-fait indigne de la France. C’est ce qu’a fait ressortir M. Odilon Barrot aux applaudissemens de la chambre entière. Du reste, la conduite du cabinet sera prochainement soumise à l’appréciation du parlement, car M. Léon de Maleville a annoncé qu’il provoquerait un vote sur cette affaire lors de la discussion du budget.

La discussion importante de la chambre des députés dans cette quinzaine a été celle des caisses d’épargne. Ce sujet mérite d’être examiné avec étendue. La question est encore nouvelle pour le pays ; on nous permettra donc ici quelques développemens.

On connaît les motifs qui ont poussé le gouvernement à présenter une nouvelle loi sur les caisses d’épargne. Instituées chez nous depuis vingt-six ans, les caisses d’épargne ont soulevé dans ces derniers temps de vives critiques. Leur succès même a été la cause des appréhensions qu’elles ont fait naître. En 1834, la somme des dépôts était de 37 millions ; elle s’élevait l’an dernier à 376 ; elle peut doubler par la suite. Dans l’hypothèse d’une crise, que fera le trésor ? où trouvera-t-il les fonds nécessaires pour acquitter cette lettre de change de 7 à 800 millions, exigible à dix jours de vue ? Telles sont les craintes que l’on exprime ; tel est le danger que l’on veut prévenir.

En effet, le danger existe, mais dans l’imagination plutôt que dans la réalité. L’expérience et le bon sens devraient calmer sur ce point bien des alarmes. Les caisses d’épargne n’ont-elles pas supporté déjà plus d’une épreuve : En 1830 malgré une révolution, en 1831 et 1832 malgré l’émeute, en 1840 malgré des bruits de guerre, n’ont-elles pas inspiré une confiance toujours croissante, et le trésor a-t-il été sérieusement inquiété une seule fois ? On peut, il est vrai, supposer des crises plus fortes ; mais ce serait prévoir des éventualités contre lesquelles la loi est impuissante. Les lois ne se font pas en vue des catastrophes. Il n’y a pas une institution de crédit, si florissante qu’elle soit, qu’on ne puisse renverser avec une hypothèse. Voyez la Banque de France, son crédit est bien assuré, et pourtant supposez qu’elle soit mise en demeure de rembourser tout d’un coup sa dette exigible de 400 millions, la Banque de France, malgré les 200 millions qu’elle a dans sa caisse, sera ruinée.

Les caisses d’épargne ont déjà rendu d’immenses services ; tout le monde le reconnaît. Elles ont donné aux classes ouvrières le goût de l’économie, elles ont diminué la masse des capitaux improductifs, elles ont établi entes le pauvre et le riche une communauté d’intérêts, elles ont fortifié le gouvernement.