Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/660

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qu’on essaie de lire après cette petite notice, celle de Lemontey sur Chaulieu également, et l’on sentira aussitôt la distance qui sépare le goût substantiel et sain de Fauriel et tout ce qui est apprêt littéraire académique. Dans son aversion de l’apprêt, il restait même assez volontiers en deçà de l’ornement.

Un autre travail plus considérable, qui date du même temps, est une Notice sur La Rochefoucauld ; elle n’a jamais été publiée. Destinée peut-être dans l’origine aux stéréotypes d’Herhan, et n’y ayant pu être employée à cause de son étendue, elle passa, dans tous les cas, aux mains du savant libraire, M. Renouard qui se proposait sans doute de la joindre à une édition du moraliste. Nous devons à son obligeance d’en avoir sous les yeux une copie. Même après tout ce qu’on a écrit depuis sur La Rochefoucauld, le travail de M. Fauriel mériterait d’être imprimé ; une première partie traite à fond des diverses éditions antérieures à 1803 ; une seconde partie est toute biographique et littéraire. Grouvelle, l’estimable éditeur de Mme de Sévigné, avait raison d’en écrire à Fauriel, le 2 prairial an XIII (1805) :


« Madame de C., monsieur, en vous remettant le manuscrit que vous avez bien voulu me confier, n’a pu vous dire tout le plaisir que j’ai eu à le lire. On ne peut mieux apprécier l’homme et son temps que vous l’avez fait. Le morceau dans lequel vous montrez comment ses principes ou plutôt son système sortit du fond même de la vie qu’il avait menée, et très habilement développé. M. Suard n’avait indiqué cette vue que pour la faire avorter, au lieu que vous l’avez fécondée et développée d’une manière qui ne laisse rien à désirer. J’aime bien votre tableau de la Fronde ; j’aime la distinction entre les Maximes et les Réflexions ; j’aime le parallèle entre La Rochefoucauld et Vauvenargues ; j’aime en vérité tout. Votre style est élégant et nerveux, clair et concis ; on voit que vous voulez réconcilier la langue avec certaines formes périodiques, et vous avez bien raison[1]. Mais il faut de l’habileté, de la force de tête, et une profonde connaissance de la langue, pour organiser ces périodes, de façon que leurs combinaisons resserrent les idées accessoires sans nuire à la clarté du sens principal. Peu de gens savent comme vous que la brièveté veut souvent une phrase longue, et que la méthode des phrases courtes est souvent celle de la prolixité. Ce style, par sa dignité et par sa plénitude, convient surtout à l’histoire ; et vous êtes destiné à l’écrire sous ce rapport, comme sous celui de l’instruction et de l’esprit philosophique.


Ce jugement fait honneur à Grouvelle, qui ajoutait d’ailleurs à ses

  1. A cet endroit des formes périodiques, Grouvelle prête, je le crois, à M. Fauriel plus de dessein qu’il n’en avait en effet. La phrase de ce dernier était tout simplement abondante, parce que sa pensée l’était aussi.