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éloges quelques critiques de détail, quelques coups de crayon en marge du manuscrit : il demandait en retour à Fauriel service pour service, et de mettre en pension chez lui pour une quinzaine sa Notice sur Madame de Sévigné et ses amis.

Le côté neuf de ce travail sur La Rochefoucauld, c’est d’expliquer, d’éclairer, par l’exposé successif des faits, la manière dont les Maximes durent naître dans la pensée de leur auteur : « Plus on étudiera l’esprit du temps où il a vécu, dit Fauriel, plus il nous semble qu’on trouvera de rapport entre sa doctrine et son expérience, entre ses principes et ses souvenirs. » Dans le tableau qu’il trace de la liaison de M. de La Rochefoucauld et de Mme de La Fayette, on croit sentir un cœur formé lui-même pour les longues et constantes amitiés, et qui en goûtera jusqu’à la fin la régulière douceur. Citant ce mot de Mme de Sévigné trois jours après la mort de M. de La Rochefoucauld : Il est enfin mercredi, ma fille, et M. de La Rochefoucauld est toujours mort ! — « Expression, dit Fauriel, d’une mélancolie naïve et profonde, et qui semble marquer, dans l’ame à laquelle elle échappe, l’instant où finit cette surprise accablante dont notre imagination est d’abord frappée, lorsque la mort vient de nous ravir un être nécessaire à notre bonheur, et où commence la conviction douloureuse d’une perte éternelle ! »

Le style des Maximes et des Réflexions est très finement apprécié. Dans les Réflexions diverses sont distinctes des Maximes et plus développées, et qu’on pourrait convenablement intituler, dit-il, Essai sur l’art de plaire en société[1], il loue « une élégance simple et facile qui ne frappe pas, mais qui plaît. On y reconnaît constamment un goût attentif à ne point se servir de paroles plus grandes que les choses » M Fauriel insiste remarquablement cette fois sur ces qualités

  1. Ces Réflexions diverses n’ont pas été peut-être assez remarquées ; elles développent certaines maximes, mais elles en diffèrent par le ton : « l’auteur y exprime surtout, dit Fauriel, des vues fines et vraies sur le moyen et la nécessité de mettre notre esprit et notre humeur en harmonie avec l’humeur et l’esprit des autres. » Le secret du succès de La Rochefoucauld dans le monde est là renfermé ; c’est l’art d’Ulysse, ce sont ces insinuations et ces paroles de miel dont il est si souvent question dans le poète. Et à ce propos on me permettra encore une remarque assez général : ces hommes fins et rusés, tels que La Rochefoucauld, Talleyrand, ont souvent une grande douceur de commerce, et, comme dit Homère en parlant d’Ulysse, une suavité d’ame, (c’est la mère d’Ulysse qui lui dit cela en le revoyant aux Enfers, Odyssée, livre XI). Cette douceur habituelle se lie de près au tact exquis de ces hommes ; rien ne leur échappe de ce qui peut agréer aux autres.