Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/678

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mon cher Fauriel, que votre traduction, en vous permettant toutes les libertés que vous demandez, ne devienne la meilleure possible, et que, si l’original est un ouvrage manqué, la traduction au moins ne soit un chef-d’œuvre Rendez-moi comme vous me sentez, c’est-à-dire bien plus beau que je ne suis… »


Et encore :


« Moi, mon cher ami, je ne vous demande qu’une chose, comme à mon traducteur, c’est de ne pas l’être dans le sens ordinaire, mais dans le sens réel, c’est-à-dire de rendre l’ame et non pas le corps de mon ouvrage. Dites les choses, non pas comme je les ai dites, mais comme vous auriez voulu les dire, pour qu’elles deviennent effectivement, non pas les mêmes, mais plus belles. En un mot, coulez ma matière, fondue par la chaleur de votre sentiment, dans la forme de votre goût[1]. Plus vous me changerez, pour ce qui regarde la façon, plus je serai charmé, car vous ne me donnerez par là que plus de graces. Ce n’est pas moi qui parle, c’est la petite Parthénais, jalouse de paraître un peu comme il faut dans le beau monde de Paris. »


Il y avait même des momens où la reconnaissance exaltée de Baggesen allait plus loin, et où, ravi des conseils si appropriés de son ami, il voyait déjà en lui un poète, que sais-je ? un poète épique, un des maîtres et des rois prochains de l’idéal ; mais il suffisait à Fauriel, pour remplir ici tout son office, d’être un critique éminent, le plus ingénieux et le plus sagace.

Son Discours préliminaire tranche nettement sur tous les livres de rhétorique antérieurs et sur les traités jusqu’alors connus en France. Il se montre d’abord philosophe dans la classification des divers genres poétiques ; il les distingue et les range, non d’après la considération de leur forme extérieure, mais d’après une analyse directe de la nature des choses qu’ils expriment, et de l’impression surtout qu’ils produisent. C’est, on le sent, un critique littéraire né d’une école philosophique, d’une école déjà plus psychologique qu’idéologique, c’est un critique au vrai sens d’Aristote, qui parle chez nous pour la première fois. En même temps, à la définition délicate qu’il donne de l’idylle, à la peinture complaisante et suave qu’il en retracé, je crois retrouver, à travers l’écrivain didactique, l’homme heureux et sensible, l’hôte de la Maisonnette et l’amant de la nature. Il poursuit ingénieusement l’identité de l’idylle sous la diversité des formes ; il se plaît

  1. N’oublions pas que c’est un étranger qui écrit ; l’image d’ailleurs est parfaitement exacte, et elle vient rappeler à propos combien en effet le goût des nations diffère.