Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/679

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

même à la ressaisir, agrandie et ennoblie, jusque dans le cadre des épopées. A certains traits mâles dont il la relève, à ces horizons plus étendus qu’il lui ouvre, à cet âge d’or, domaine du genre, qu’il reporterait volontiers en avant, et qui peut-être, dit-il, est plus chimérique encore dans le passé que dans un avenir indéfini, on croit reconnaître comme de loin l’ami de Cabanis et le partisan, celui qui l’a été ou qui voudrait l’être, du système de la perfectibilité. Les analyses détaillées de la Louise de Voss et de l’Hermann et Dorothée de Goethe respirent la douceur des modèles et sont de gracieux tableaux. On voudrait seulement plus de rapidité dans l’ensemble du discours, et hâter par momens la marche de l’écrivain circonspect, qui ne fait grace d’aucun des préparatifs et des appareils de sa pensée. Même lorsqu’on a pour soi la raison, il y a tout lieu d’aller plus vite en France.

Le critique-traducteur peut nous paraître indulgent pour certaines fictions de la Parthénéide, pour cet emploi de la mythologie grecque et des formes homériques dans un sujet tout moderne et tout bourgeois ; mais, s’il plaide par des raisons plus ingénieuses que persuasives en faveur de quelques singularités trop évidentes de son auteur, il n’exagère en rien, du moins la valeur générale de l’œuvre ; il fait bien ressortir à l’avance le caractère tout aimable et virginal du poème, la fraîcheur d’imagination qu’il suppose, même de la part du lecteur. Et puis il y a dans l’épopée idyllique de Baggesen plus que de la grace, plus que des images riantes ; il y a par momens de la grandeur. Le sujet n’est autre, comme on sait, que le pèlerinage de trois jeunes filles, de trois sœurs, à travers l’Oberland jusqu’à la montagne de la Vierge, ou l’Iung-Frau. Elles ont pour guide dans cette tournée un jeune étranger, Norfrank, à qui leur père les a confiées. Or, entre autres conceptions plus ou moins heureuses dans leur singularité, le poète a imaginé à un certain moment de personnifier et de figuerer le Dieu du Vertige, gardien des hautes cimes. Cette fiction remplit tout le chant VII du poème ; elle est d’une énergique et sauvage beauté. Ginguené, peu suspect de germanisme, déclare « qu’on ne balancera sans doute pas à la nommer admirable quand elle aura quelques siècles de plus[1]. » Fauriel la compare très justement à celle du géant Adamastor chez Camons. — La peinture, du Dieu de l’Hiver, dont Baggesen place le trône au-dessus de tous les glaciers des Alpes, offre aussi de ces traits de vigueur austère qui n’appartiennent qu’aux poètes supérieurs.

  1. Mercure de France, décembre 1810, page 411.