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propre est de séduire les esprits frivoles et de leur imposer une loi qui les contente, même avec le mensonge, on trouve éparses dans tout ce qu’il a écrit des lumières bien plus importantes, des données certaines et neuves sur les caractères, les faits, les mobiles, les ressorts cachés du règne des trois George.

Si l’on veut établir dans ces curieux et excellens débris un ordre que l’écrivain lui-même n’a jamais cherché, on verra se dresser sur le premier plan une figure toujours présente à notre Horace, alors même qu’il veut cacher sa préoccupation. Robert, le père d’Horace, le célèbre ou plutôt le fameux ministre, est comme l’ame des Réminiscences ; il reparaît souvent dans la correspondance et se retrouve jusque dans cette portion des mémoires où il est question de ses successeurs, sacrifiés sans exception à son ombre irritée. Telle est la clé qu’il faut tenir en feuilletant les dix ou onze volumes qui contiennent les piquantes indiscrétions d’Horace ; elle ouvre à la fois la politique anglaise du XVIIIe siècle et le vrai caractère de Robert Walpole, trop excusé par son fils, trop décrié de son vivant comme après sa mort.

C’est assurément une énigme intéressante que ce ministre d’état qui, de 1715 à 1742, dirigea l’Angleterre, fonda le crédit financier du pays, et laissa la plus détestable réputation du monde. Sur son compte, l’histoire s’accorde ; d’après le bruit public, c’était un coquin. Comment croire que le personnage qui guida cette difficile époque ait été si méprisable ? Le vice peut bien entrer pour quelque chose dans l’influence exercée sur les hommes, mais non pour tout. On ne les dirige point exclusivement parce que l’on est vicieux ; il faut encore être habile, ferme, courageux et même fidèle à ses amitiés ; il faut surtout donner prise à l’espérance, et ne pas la tromper toujours ; il faut grouper les égoïsmes, servir les intérêts, avoir enfin certaines parties de l’honnête homme, si on ne les a pas toutes. Comment donc penser que ce ministre qui gouverna un quart de siècle, qui régla le mouvement de transition si dangereux entre l’établissement nouveau de Guillaume III et la lutte avec l’Amérique, correspondit exactement avec le type bas et infâme que les contemporains nous ont légué ? Ce qui est certain, c’est qu’il a donné aux finances de son pays une excellente impulsion ; il a organisé la paix, il a préparé la guerre. Ce qui est clair aussi, c’est sa constante adhérence aux doctrines de Guillaume et de Marlborough. Dans une époque diffamée, où Alberoni représente l’Espagne, et Dubois la France, pourquoi donc cet homme parvint-il à être plus diffamé que tout le monde et à se soutenir plus long-temps que personne ?