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J’aime à consulter sur ce problème son propre fils, ou plutôt celui qui se croyait son fils, Horace, qui n’avait pas avec le ministre le moindre trait de ressemblance, et qui, dans son amour pour Robert, avait atteint le plus haut degré d’enthousiasme dont son ame fût susceptible. Les contemporains ne pensaient pas que le fils appartînt au père ; ils expliquaient la délicatesse exquise d’Horace par la liaison intime de Carr, lord Hervey, et de lady Walpole ; ils retrouvaient chez Horace l’affectation, la manière, la coquetterie, l’efféminé, le faux, qui, chez les Hervey, étaient un héritage fidèlement transmis. Ils remarquaient le peu de soin et d’amour que le ministre avait montré à son fils pendant le cours de ses études. Plus tard, ils ne manquèrent pas d’observer combien le fils s’intéressait peu à la sale politique ; c’est ainsi qu’il la nommait[1].

Malgré tout cela, et peut-être à cause de la diversité tranchée des caractères et des humeurs, depuis le moment où Horace sortit d’Éton jusqu’à sa mort, il ne se passa guère de journées dont il ne mît de côté quelques minutes pour expliquer et justifier les actes de l’homme dont il portait le nom. Même en écrivant de la critique, des catalogues, des lettres confidentielles, des biographies, c’est toujours Robert qu’il a en vue ; cette nature rusée et belliqueuse de l’homme politique exerce comme une fascination sur l’homme du monde. Partout, chez lui de page en page, vous retrouvez le ministre Robert.

Quel était-il donc ce caractère devenu symbole de la corruption politique ? Un martyr ? comme le veut Horace, ou un infame ? comme tous les historiens le proclament. — Non, mais un laborieux et puissant ouvrier de la chose publique ; sans trop de scrupules quand il fallait réussir, bien moins avili qu’on ne l’a cru ; agissant et trafiquant dans le marché des choses politiques, comme il l’avait fait dans le domaine de son père ; ambitieux, non cruel ; ami des plaisirs violens qui le délassaient, non dépravé ; cordial et bonhomme à ses heures, ne s’émouvant de rien, marchant tranquillement au succès, sans estime pour les autres, sans trop de mépris non plus, s’attachant aux réalités, n’ayant de répulsion que pour la chimère, et qui se serait élevé très haut dans l’histoire, s’il avait eu le cœur plus haut placé.

Quiconque fait dégénérer un peuple ou abaisse une littérature commet une action criminelle ; Robert Walpole n’a fait ni l’un ni l’autre. Habile machiniste, les rouages qu’il devait mettre en jeu étaient souillés ; il en a usé, et les a laissés se nettoyer eux-mêmes ; s’il eût

  1. Dirty politics. Letters to H. Mann, 1738.