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Wallis et de Schooten, a pour objet spécial la démonstration de certaines questions que Fermat proposait comme des espèces de défis aux géomètres anglais. Dans une lettre imprimée, mais toujours anonyme, adressée à Digby, et qui paraît avoir échappé à tous les biographes, Fermat se plaignit avec raison de cet étrange abus de confiance qu’on ne craint pas de commettre en publiant des lettres confidentielles sans en avoir obtenu l’autorisation. Il résulte de ses lettres au père Mersenne que Fermat, très libéral de communications scientifiques, ne voulait pas souffrir que rien de ce qu’il lui envoyait parût sous son nom[1]. Une lettre de Descartes, qui est la soixante-huitième du troisième volume de l’édition de 1667, confirme la vérité de ce fait, et l’on voit, par une autre lettre de Bernard Medon à Heinsius, que les prières de tous les amis de Fermat, que les instances du chancelier de France même, n’avaient pu rien obtenir sur ce point. En désespoir de cause, Medon engage Heinsius à s’adresser à la reine Christine, afin qu’elle exhorte Fermat à publier les ouvrages achevés qu’il avait dans son cabinet. Cette lettre, que Burmann a insérée dans son grand recueil épistolaire, est de l’année 1651, et, comme Fermat vécut encore quatorze ans sans rien faire imprimer, il faut croire que, si elles eurent lieu, les démarches de cette femme célèbre ne réussirent pas à ébranler une si ferme résolution.

La modestie de ce grand géomètre a été, sans contredit, une des causes qui l’ont porté à ne rien publier. Il sentait sa force, et ne craignait pas les discussions ; mais il travaillait pour lui-même et non pas pour la gloire. « J’ay si peu de commodité (écrivait-il au père Mersenne) d’écrire mes démonstrations… que je me contente d’avoir découvert la vérité et de sçavoir le moyen de la prouver lorsque j’auray le loisir de le faire[2]. » Satisfait de vaincre les plus grandes difficultés, il communiquait ses découvertes à ses amis, à des géomètres tels que Pascal, Descartes, Roberval, Frenicle, Wallis, Torricelli, Huyghens, et souvent il ne gardait pas même copie des démonstrations qu’il leur adressait. C’était surtout par l’entremise du père

  1. On voit par une lettre de Fermat à Carcavi qu’enfin ce grand géomètre avait pris la résolution, en 1659, de publier ses écrits de mathématiques, mais à condition que l’ouvrage ne porterait pas son nom.
  2. Fermat, dont l’esprit était si actif quand il s’agissait de faire des découvertes, n’aimait pas à les rédiger. Cela résulte de toutes ses lettres. Une fois, il écrit à Roberval, à propos d’un traité manuscrit qu’il venait de lui communiquer : « Je ne doute pas que la chose n’eût pu se polir davantage, mais je suis le plus paresseux de tous les hommes. » On voit par sa lettre, déjà citée, à Carcavi, que Fermat se proposait d’envoyer à Pascal ses principes et ses premières démonstrations sur la théorie des nombres, afin que celui-ci en tirât les conséquences et se chargeât avec Carcavi de la rédaction. M. Gauss, grand géomètre, que la postérité placera à côté de Fermat non-seulement par ses admirables découvertes dans la théorie des nombres, mais aussi par le peu d’empressement qu’il met à faire paraître ses travaux, répondit à une lettre dans laquelle nous lui demandions de ne pas tarder davantage : Procreare jucundum, sed parturire molestum !