Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 10.djvu/699

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mersenne, dont la correspondance était si étendue, que se faisaient ces communications. Dans une lettre inédite, du 26 mai 1664, écrite par Fermat à ce savant religieux, nous lisons : « En tout cas, vous m’obligeriez de me renvoyer ma démonstration, parce que je n’en ay pas gardé copie. » On voit par la même lettre que Fermat n’avait pas de copie de ses écrits les plus importans qu’il avait envoyés à Paris. Très ferme dans ses opinions, il se défendait sans rien céder, et il ne se fâchait pas des injures. Nous avons dit qu’il eut une discussion avec Pascal sur le calcul des probabilités, et que l’immortel auteur des Provinciales finit par reconnaître que Fermat avait raison. On rencontre plus de difficulté avec Descartes, esprit dominateur, qui ne souffrait pas d’égal, et qui ne pouvait pardonner à Fermat ses découvertes. Pour critiquer victorieusement une méthode de Fermat, il la défigura de mille manières, et il parvint aisément ainsi à trouver en défaut l’auteur, qu’il appelait ironiquement le conseiller de minimis. Ce mauvais jeu de mots n’empêcha pas Fermat d’avoir raison et d’obtenir le suffrage et l’appui des géomètres les plus célèbres de son temps. Traité fort durement par Descartes, il répondit toujours avec la plus grande modération, et il opposa à ses dédains cette déclaration : « M. Descartes ne sçauroit m’estimer si peu que je ne m’estime encore moins. » Il fit plus : après la mort de son illustre adversaire, il redoubla d’éloges et ne cessa d’exalter ce beau génie.

Quant à Descartes, malgré un rapprochement ménagé par le père Mersenne, et à la suite duquel ce grand philosophe, écrivant à Fermat, le comparait à la belle Bradamante de l’Arioste, « laquelle ne vouloit recevoir personne pour serviteur, qu’il ne se fust auparavant éprouvé contre elle au combat, » il ne put jamais pardonner au magistrat de Toulouse d’avoir, après lui, reculé les bornes de la géométrie. Tantôt il affectait de proposer à un écolier nommé Gillot les problèmes que Fermat adressait à Mersenne, tantôt il ne prenait pas même la peine de comprendre l’énoncé de ces propositions, et il donnait des solutions peu dignes de lui. Une fois entre autres, il annonça qu’il ne lui avait fallu qu’un demi-quart d’heure pour résoudre