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contraint d’y renoncer, car elle serait devenue inexécutable. Heureusement la chambre des pairs a mieux compris ce qu’il fallait faire pour la gloire de Fermat, et la commission, par l’organe de M. de Laplace, a déclaré qu’elle n’approuvait pas cet assemblage d’écrits divers qui, par leur réunion, auraient affaibli l’hommage qu’on voulait rendre à la mémoire de ce grand géomètre[1]. Caractérisant sans phrases et très convenablement les travaux et le génie de Fermat, le nouveau rapporteur a fait justice des idées aventureuses que contenait le premier rapport, et, dans une loi destinée à exalter la gloire de Fermat, il s’est bien gardé de jeter quelque défaveur sur une branche des mathématiques que ce grand géomètre avait cultivée avec passion. Il a parfaitement compris que les sciences se tiennent, que le progrès de l’une est intimement lié à l’avancement de toutes les autres, et que, sous prétexte de favoriser les progrès de la mécanique céleste ou de l’acoustique, parler avec une sorte de dédain de l’analyse indéterminée dont des hommes tels que Fermat ; Euler ; Lagrange, s’occupèrent toute leur vie, et qui est cultivée actuellement en France et en Allemagne par les plus illustres géomètres, c’était, en réalité, s’opposer aux progrès des mathématiques. M. de Laplace a puisé des idées plus élevées dans les écrits de son illustre père, qui connaissait véritablement la mécanique céleste et la théorie mathématique du son, et qui, bien que ses succès le portassent de préférence vers les applications, disait, il y a cinquante ans aux élèves de la première École Normale, à propos de Fermat :

« Ce grand géomètre avait promis de publier les démonstrations de ces derniers théorèmes, mais elles ont été perdues à sa mort ; ces théorèmes sont restés comme autant de monumens qui, par la difficulté d’y parvenir, attestent la profondeur de son génie. Il est fort remarquable que les grandes découvertes dont l’analyse s’est enrichie dans ce siècle aient peu influé sur la théorie des nombres. Au reste, ces recherches ne sont jusqu’ici que de pure curiosité, et je ne conseille de s’y livrer qu’à ceux qui en ont le loisir. Cependant il est bon de les suivre, elles fournissent d’excellens modèles dans l’art de raisonner ; d’ailleurs, on en fera un jour, peut-être, des applications importantes. Tout se tient dans la chaîne des vérités, et

  1. Parlant au nom de la commission chargée par la chambre des pairs d’examiner ce projet de loi, M. de Laplace disait que cette commission s’associerait au vœu exprimé par le rapporteur de la chambre des députés, « si elle ne craignait pas que des adjonctions trop étrangères aux recherches du géomètre ne fissent perdre à la réimpression de ses œuvres son véritable caractère, qui doit rester un hommage pur à son génie. »