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de partisans à Athènes, et ce qu’on appelle le parti anglais n’est proprement qu’une fiction politique due à l’habileté extraordinaire de Mavrocordato. Cet homme d’état, qui est le premier diplomate grec, a pu, chez un peuple essentiellement admirateur du génie, devenir à lui seul un parti. Plus solide parce qu’il s’appuie sur la haine politique contre les dominateurs de Corfou et sur la sympathie religieuse, le parti russe n’a guère pourtant de vitalité que dans les îles Ioniennes ; il n’a pu, dans le royaume, survivre à la révolution du 3 septembre. Les actes trop hostiles du tsar contre cette révolution, tels que le rappel et le désaveu de son ambassadeur Katakazi, et le renvoi du frère de Kalergis hors de l’empire, ont tourné contre Nicolas tous ceux qui auparavant espéraient le plus en lui. Reste donc uniquement ce qu’on appelle le parti français, représenté par Coletti, celui de tous les hommes d’état de Grèce qui a eu constamment la conduite la plus pure et la plus digne ; mais, si l’on met à part les prédilections personnelles et toutes françaises de Coletti pour sonder le fond même des idées de son parti, on trouve que ce sont le idées de tous les Grecs, et que par conséquent le mot de parti français est un mot vide de sens.

Les représentans de ces trois grandes fractions sont dans toute la force de l’âge et du talent. Coletti, qui est né en Épire, voit se grouper autour de lui tous les héros à foustanelle, tous les chefs roméliotes et continentaux de la Grèce. Mavrocordato, le prince du Fanar, représente l’élégante, mais égoïste et froide diplomatie de l’Europe. Enfin le riche Metaxas se rattache à la Russie, parce qu’en sa qualité d’Ionien il voudrait venger sa patrie opprimée par l’Angleterre, et recouvrer ses immenses biens de Céphalonie, sequestrés par le lord-gouverneur, en punition de ce que l’ardent patriote sortit un jour sans permission de son île pour aller combattre les bons amis de l’Angleterre, les Ottomans. À l’ouverture de la première session des chambres grecques, ces trois chefs populaires se trouvèrent en présence ; ils aspiraient également à la présidence du congrès ; mais, loin de se combattre, ils eurent la générosité de déclarer partout qu’ils n’avaient qu’un seul et même esprit. Les menées de la légation anglaise réussirent enfin à faire nommer président Mavrocordato, et ses deux rivaux n’obtinrent que la vice-présidence.

Une fois la constitution faite et jurée, le président se trouva naturellement à la tête du ministère. Entièrement dominé par l’Angleterre, Mavrocordato ne put ou ne voulut pas s’adjoindre Coletti. Exclu du ministère, ce dernier, en s’unissant à Metaxas, eut aussitôt pour lui la nation presque entière, et il ne resta plus à Mavrocordato d’autres moyens de gouvernement que la corruption ou la force ouverte. Le premier de ces deux moyens n’offrait qu’un bien faible secours contre des populations encore neuves et profondément religieuses ; le second, dans un pays où tous les habitans sont armés, n’avait pas chance de réussir long-temps. Cependant, malgré le danger que présentaient ces moyens, la séduction et la violence furent prodiguées par le ministère avec une hardiesse inouie, dès qu’au printemps de 1844 les collèges électoraux se furent réunis pour élire leurs nouveaux représentans au congrès.