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Entre le gouvernement et le pays éclatèrent dans la plupart des provinces des collisions sanglantes. Heureusement le principe du suffrage universel, aux mains d’un peuple non encore corrompu, sauva la monarchie.

Pendant que le ministère et les patriotes se livraient tant d’assauts acharnés, le roi, jaloux de rester neutre, parcourait avec la reine les provinces montagneuses situées entre les Thermopyles et l’Hélicon. Rien n’a mieux prouvé que ce simple voyage les bienfaits de la constitution, et la confiance sans bornes que la charte avait fait naître entre le peuple et son roi. Ce prince étranger qui, quelques mois auparavant, était, à titre de despote, un objet d’aversion pour tous ses sujets, ce prince allemand chevauchait avec sa femme d’un village à l’autre, sans autre escorte que les bandes de paysans qui l’accueillaient et le suivaient en le comblant de bénédictions. Jamais la joie si agréablement enfantine des Hellènes ne s’était montrée plus touchante. Le manque d’auberges obligeait les deux majestés à prendre leur frugal repas sur l’herbe, au bord des sources classiques, et à camper sous la tente, comme des pasteurs de peuples de l’ère homérique ; mais ils étaient, sous cette humble apparence, entourés d’hommages bien préférables à ceux que rendent les courtisans. Des milliers de bras se levaient pour appeler sur eux les faveurs du ciel, et les portaient en triomphe aux églises et aux ruines fameuses de la Grèce. Des chœurs de jeunes filles, conduites par leurs amans, et se tenant enchaînées les unes aux autres par des guirlandes de fleurs, exécutaient, sous les yeux du père de la patrie, les danses mimiques des temps anciens, et des Saphos champêtres venaient, le téorbe en main, chanter à la reine des vers comme ceux-ci :

Nα νη ζα σε Χαρομεν,
Σαν τα ψηλα Βουνα
Βασυλσσα, ματια μας

« Vis pour que nous réjouissions ton cœur, vis aussi long-temps que nos cimes montagneuses, ô reine, prunelle de nos yeux ! »

Pendant que la jeunesse et les femmes se livraient à l’expression de leur bonheur, les vieillards, debout autour d’un feu de bivouac, causaient familièrement politique avec leur roi, le consultaient, lui racontaient leur héroïque histoire, ou les légendes merveilleuses de leur vallée natale. On conçoit qu’un tel voyage ait attaché plus que jamais Othon à sa patrie adoptive, et que de retour à Athènes, en apprenant la complète dérouté du ministère devant les colléges électoraux, il ait pris, en bon roi constitutionnel, le parti du peuple contre un cabinet aveuglément dévoué aux inspirations de l’Angleterre.

La voix publique désignant Coletti comme successeur de Mavrocordato, le roi appela sans balancer Coletti. Avec cet homme d’état, Metaxas reprit également son portefeuille, et ainsi les deux partis soi-disant français et russe se trouvèrent représentés par leurs chefs à la tête du gouvernement. Quoique Mavrocordato fût tombé, les élections qu’il avait faites subsistaient, et les députés nés de ces élections arrivèrent au congrès, impatiens de venger