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cette intervention, laissent au pays un souvenir douloureux ; mais appréciant, sire, vos sentimens de clémence, le congrès détourne les yeux de ces scènes pénibles, et désire voir le peuple grec les couvrir d’un généreux oubli. En vain Mavrocordato, désespéré, demanda sa mise en jugement ; il était simple qu’elle ne fût pas accordée, puisque le sénat, auquel la charte grecque décerne exclusivement le droit de juger les ministres, se trouve dans son état actuel uniquement composé des créatures du système déchu, et que d’ailleurs ces sénateurs mavrocordatistes se sont formellement exprimés, dans leur adresse au roi, en faveur de l’accusé. Ainsi, malgré tous les efforts faits par Coletti lui-même pour lui épargner cette humiliation, Mavrocordato a dû rester sous le poids de l’anathème du congrès.

Les nobles manifestations du ministre heureux en faveur de son ennemi vaincu pourraient bien toutefois n’être pas aussi désintéressées qu’on le suppose. Coletti doit sentir qu’il n’est pas lui-même tout-à-fait à l’abri des inculpations sous lesquelles succombe son rival. Le moyen dont il s’est servi pour épurer le congrès a été un moyen nouveau, étranger aux mœurs grecques, et emprunté à l’esprit de la centralisation occidentale. Son mode de vérification des pouvoirs du congrès par les députés eux-mêmes est tout-à-fait le mode usité en France, tandis qu’en Grèce, comme en Hongrie et dans le reste du monde gréco-slave, ce sont les collèges électoraux qui jusqu’ici ont exercé seuls le droit de vérification et de rappel sur les députés élus par eux. La mesure si peu gréco-slave du ministère Coletti ne peut se justifier que par le besoin de renforcer, dans l’état de crise actuel, le pouvoir central de la Grèce, et par la nécessité absolue de faire cesser les antiques luttes de province à province, qui, en éparpillant l’énergie nationale, empêcheraient le peuple grec d’atteindre à ses nouvelles destinées. Sans doute il faut restreindre l’influence locale des anciens chefs militaires. Trop souvent encore les Kolokotroni, les Grivas, les Mavromichalis, les Stratos, les Plapoutas, féodalement entourés d’un cortége de vassaux, prétendent dominer par la force les assemblées des électeurs. Il faut donc qu’il y ait momentanément, hors des collèges électoraux, une dictature constitutionnelle, chargée de vérifier et de remettre en question tout ce que les grandes familles de chaque province pourraient faire contre le gré de leur province. Cependant, qu’on n’espère pas abolir pour jamais le principe même de la représentation provinciale ; les Grecs ne seraient plus des Grecs, s’ils poussaient jusqu’à ce point l’oubli de leurs mœurs antiques.

La dernière lutte du gouvernement contre l’île d’Hydra, dont les élections ; après avoir été reconnues par la commission d’enquête comme parfaitement légales, ont cependant été annulées par le congrès, cette lutte, disons-le franchement, marque le premier pas vers l’établissement en Grèce d’un système dictatorial dans le genre du directoire français, système contraire à la nature comme à tous les antécédens historiques du peuple grec. Parmi les mesures purement administratives destinées -à appuyer la centralisation politique du pouvoir, il faut citer le plan d’une division territoriale de l’Hellade