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un déguisement à Oropo, où il s’embarqua pour les îles Ioniennes, et son complice Karatasso ne tarda pas à l’imiter. Condamnés par l’Europe, les raïas, sur tous les points de l’Orient, reprirent leurs chaînes ; mais il demeura prouvé que sans l’intervention des puissances, l’année 1841 aurai vu la Turquie forcée de céder à l’Hellade les anciennes provinces qui faisaient, avant Capodistrias, partie intégrante de son territoire.

L’arrivée à Constantinople et l’influence combinée de M. de Bourqueney et de sir Stratford Canning parvinrent à rapprocher les deux états rivaux, et aplanirent peu à peu toutes les difficultés qui s’opposaient au rétablissement de la bonne harmonie entre les cabinets d’Athènes et du Bosphore. Grace aux efforts victorieux de la diplomatie, on ne pouvait guère douter qu’une paix sincère ne se trouvât enfin fondée pour de longues années entre l’Hellade et la Turquie. Cependant, qu’est-il arrivé ? Deux ans sont à peine écoulés, et voilà que l’Orient se retrouve à la veille de toutes les perplexités de 1841. Loin de s’être réconciliés, les raïas et les musulmans se haïssent plus que jamais. Les deux sociétés repoussent avec un égal mépris tous les efforts du libéralisme occidental pour les fondre ensemble. Le jour même de son apparition, la prétendue charte de Gulhané fut appelée par les Grecs du Bosphore ενα μασχαρλοχί, une mascarade. Aussi le sultan Mahmoud avait à peine cessé de vivre que déjà l’ancien régime turc revenait avec tout son cortège d’avanies s’installer au conseil des ministres. Il n’est que trop vrai que, si le divan a montré ces dernières années quelque énergie, il le doit uniquement à son retour aux vieilles mœurs, aux cruautés célèbres des anciens visirs ; mais ce système de terreur ne fait guère que galvaniser un cadavre, et achève d’épuiser l’empire en montrant de plus en plus aux raïas, comme seule ressource contre leurs oppresseurs, une révolte générale.

Il est évident que, plus on approche de la solution du problème oriental, plus aussi l’affranchissement des raïas grecs apparaît comme nécessaire. D’année en année, cette question gagne du terrain. Au lieu de se laisser menacer par la Porte, comme au temps de l’absolutisme d’Othon, la Grèce, depuis qu’elle est devenue constitutionnelle, a pris l’offensive, et c’est elle à son tour qui menace à chaque instant la Turquie d’une invasion. L’accord unanime des grandes puissances peut seul désormais empêcher le renouvellement du conflit entre les deux races. Au premier congrès de la Grèce constitutionnelle, on a vu siéger des députés envoyés par l’Epire, la Thessalie et la Macédoine, et pour les forcer à la retraite, il a fallu l’ordre menaçant de l’Europe. Il y a à peine deux ans qu’ils ont quitté Athènes, et voici que de nouveaux mouvemens populaires pour l’émancipation appellent de nouveau l’intervention des puissances. Tant qu’on n’aura pas satisfait aux justes griefs des Epiro-Thessaliens, on s’efforcera inutilement d’établir une entente cordiale entre Athènes et Constantinople. C’est pourquoi le divan turc a cru devoir adresser les reproches les plus amers au ministère Coletti. Des notes nombreuses ont été échangées entre les deux cabinets, et la polémique agressive a gagné jusqu’aux journaux des deux pays. La Porte accuse l’état grec