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d’encourager en secret le mouvement palicarien de l’Epire et de la Thessalie. Le cabinet d’Athènes, de son côté, tâche de prouver qu’on ne peut enlever aux bandes klephtiques le prestige de patriotisme dont les entoure la multitude, qu’en leur ôtant, par l’amnistie, tout moyen de passer pour victimes de la tyrannie ; perdant ainsi leur puissance morale, ces troupes se débanderont, et l’anarchie cessera sur les frontières. Quelque spécieuses que soient ces raisons, elles prouvent en tout cas l’impossibilité où est le gouvernement de réprimer l’élan des Grecs libres vers leurs frères raïas. Aussi, l’Autriche et la Russie, ces deux puissances qui se croient le plus de titres à l’héritage de la Turquie, redoublent-elles leurs démonstrations contre l’Hellade, assez hardie pour leur disputer cet héritage.

L’Autriche ne peut même dissimuler son désir d’occuper militairement, comme alliée de la Porte, les frontières d’Epire et de Macédoine, au cas où ces provinces seraient envahies par les Hellènes indépendans. En vain les journaux ministériels d’Athènes combattirent d’abord comme absurde cette assertion ; en vain ils essayèrent de faire croire à une parfaite harmonie entre le cabinet grec et celui de Vienne. Bientôt une note de M. de Metternich, pleine d’aigreur contre la Grèce, vint donner à ces assurances un éclatant démenti. La dépêche autrichienne, adressée à M. d’Appony, ambassadeur à Paris, et destinée à être mise secrètement sous les yeux de M. Guizot, est datée du 10 octobre 1844. On y lit ces paroles tout au moins étranges : « Le jeu des partis en Grèce s’exerce dans la double direction du mouvement à l’intérieur, et des conquêtes à faire sur l’empire ottoman, conquêtes qui, si elles devaient même être tolérées par la politique européenne, ne feraient qu’élargir le champ des misères grecques. »

Il semblerait que le cabinet aulique s’est inspiré ici de sa propre situation. L’asservissement sous un seul sceptre de tant de pays hétérogènes, de tant de peuples qui n’ont de commun ni la langue ni les mœurs, et dont la réunion forcée ne peut s’expliquer que par une insatiable ambition chez leurs dominateurs ; un tel système n’a pu sans doute et n’a fait qu’agrandir le champ des misères autrichiennes. Mais quelle analogie y a-t-il entre le système de conquêtes anti-nationales du cabinet aulique et la demande en restitution du peuple grec, qui ne veut s’agrandir qu’en reprenant sur des barbares les provinces de langue grecque, les terres arrosées de ses sueurs et où reposent les os de ses pères ? Quoi qu’en ait dit le Moniteur grec pour justifier le cabinet de Vienne, cette note est un acte évident d’hostilité contre l’Hellade, et ce fut vraiment un heureux hasard qui, en l’arrachant au secret des archives ministérielles, la livra dans les journaux athéniens à une publicité vengeresse. Si la presse de Londres et de Paris se fût mise à la discuter, cette note était de nature à faire entrer la question d’Orient dans une phase nouvelle. En effet, l’Autriche pour cette question n’a point coutume de se séparer de la Russie. Ainsi, en attaquant avec tant d’amertume l’état du royaume grec, au moment où l’influence française y prédomine, la note autrichienne trahit évidemment une combinaison austro-russe contre la