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On voit quels périls courait aussi de ce côté la monarchie de 1830, qui résidait alors à d’assez rudes assauts. Heureusement elle a échappé à ces dangers dont la menaçait le courroux du poète ; il s’adoucit peu à peu ; de son côté, le gouvernement de juillet grandissait, si bien qu’aujourd’hui nous n’avons plus à concevoir la moindre inquiétude. Revenons aux questions poétiques.

Les drames de M. Hugo forment un curieux épisode de notre histoire littéraire. On y voit en effet, d’une manière plus saillante que partout ailleurs, la lutte d’un grand artiste, contre lui-même, c’est-à-dire la résolution héroïque de plier son esprit à une œuvre pour laquelle la nature ne l’avait point fait. M. Hugo n’était pas né poète dramatique : il a voulu le devenir, mais c’est surtout dans le domaine de l’art que la volonté n’est pas le génie. Toutefois, comment un aussi valeureux champion ne se fût-il pas signalé par de nobles coups ? En associant tant de combinaisons laborieuses, M. Hugo a rencontré quelques beaux effets ; puis, dans sa téméraire entreprise, il a porté son style : c’était beaucoup. Sous ce rapport, les incursions dramatiques de M. Hugo ont été fort utiles. Par une langue fortement trempée, il a régénéré l’alexandrin abâtardi, et son exemple fera d’un style plus ferme et plus coloré un devoir pour ses successeurs, mais qu’on y regarde de près, on trouvera, tant pour le fond que pour la forme, que presque toujours les fautes et les beautés du poète doivent être attribuées à son génie lyrique. L’ode vit surtout par de grands contrastes, mis en relief avec vigueur ; elle se complaît dans les oppositions de la vie et de la mort, de la jeunesse et des cheveux blancs, du triomphe et de la chute. Lisez les belles odes de M. Hugo, et vous verrez le principal moyen de la poésie lyrique employé avec une rare énergie. Lorsqu’il chante le César du XIXe siècle, vous entendez d’abord un concert d’acclamations ; puis des imprécations retentissent. Dans les Deux Iles, l’antithèse s’élève parfois au sublime.

L’antithèse est la forme de prédilection de M. Victor Hugo c’est dans ce moule qu’il avait jeté ses pensées lyriques, il y jeta ses drames. Hernani, c’est un duel entre un roi et un brigand ; Ruy-Blas, c’est l’amour partagé d’un valet pour une reine ; Angélo, c’est la lutte entre la courtisane et la femme légitime. Ailleurs, l’antithèse ne jaillira pas du choc de deux personnages différens, le poète la placera au centre d’un seul et même caractère. Ainsi Lucrèce Borgia épouvante l’Italie par ses crimes, mais elle est la plus tendre des mères. Triboulet, de vil bouffon, devient père sublime. N’oublions pas Marion Delorme, antithèse entre Marion et Didier, antithèse dans le personnage même de Marion, l’ange était un démon. En un mot, l’antithèse est partout,