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dans la constitution du drame, dans l’opposition des acteurs qui s’y meuvent, dans le développement individuel des caractères, dans la langue que parlent les personnages.

Voici encore d’autres habitudes lyriques transportées dans le drame. Quand le poète lyrique demande des inspirations à l’histoire, c’est avec une entière liberté : il prend à l’histoire ce qu’il veut, il laisse dans l’ombre ce qui lui déplaît, il revêt de lumière et d’idéal ce qu’il désire livrer à l’admiration des hommes. M. Hugo s’est imaginé qu’il pourrait, dans le drame, se permettre les mêmes licences, et souvent aux réalités du passé il a substitué sa fantaisie, non par mépris de l’histoire, mais par méconnaissance. Dans les momens où le poète souhaitait le plus sincèrement de se montrer historique, il n’était que fantastique par l’inévitable entraînement de son génie. Dans les drames de M. Hugo, on a devant les yeux des rois illustres, des reines célèbres, des noms fameux, pourtant on n’est pas dans un monde réel, et souvent on est tenté de s’écrier comme don César dans Ruy-Blas :

Je me résous, ma foi,
A ne plus m’étonner. J’habite dans la lune.


Signalerons-nous le lyrisme du poète dans les monologues et les allocutions de ses personnages, ces énumérations si bien placées dans l’ode, et presque toujours si fâcheuses dans le drame ? Que veulent surtout les personnages de M. V. Hugo ? Agir ? Non, ils veulent parler, puis parler encore. Eh ! ne sentez-vous pas que le poète a la poitrine gonflée de beaux vers, et qu’il faut qu’il éclate. Adieu le drame, le poète se met à chanter.

Ce que la nature grave dans l’esprit de l’homme ne s’efface pas. Les préoccupations lyriques de M. Victor Hugo, loin de s’affaiblir au milieu de ses efforts pour conquérir la scène, ont augmenté. Jamais l’empreinte de l’ode n’a été plus visible que dans son dernier drame, les Burgraves. Un jour, un rapprochement étrange traverse l’imagination de notre poète : en contemplant les ruines des vieux châteaux qui se dressent encore le long du Rhin, il se prend à songer à la Thessalie, où les Titans luttèrent contre les dieux, et il se représente les bords du Rhin comme un théâtre où d’autres Titans ont combattu autre Jupiter : ces Titans, ce sont les burgraves, ce Jupiter, c’est l’empereur d’Allemagne. Que dans une ode le poète en passant ait indiqué à grands traits singulier parallèle, nous accorderons qu’il eût pu l’imposer à l’esprit du lecteur, tant nous avons foi dans son génie lyrique ; mais nous sommes bien loin de compte : M. Victor Hugo s’entête si fort d’une pareille comparaison, qu’elle devient pour