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et les destinées de l’Europe dépendent surtout de l’Allemagne et de la France, qui en occupent le centre vivant. L’Allemagne, nous l’avons dit, ne peut maintenir son indépendance et son originalité que par l’alliance de la France, autrement elle est russe. L’intérêt rapproche les deux peuples que sépare le Rhin ; la diversité de leur génie les convie à une amitié solide. Maintenant, l’avenir sera-t-il tel que se le représente M. Victor Hugo ? L’extinction prochaine de la branche de Brunswick, dont aujourd’hui le roi Ernest est le chef, amènera-t-elle la réunion du Hanovre à la Prusse, qui alors rendrait la rive gauche du Rhin à la France ? Nous ne nous portons pas garant de telles espérances. L’étude de l’histoire ne nous a pas habitué à penser que de pareils résultats puissent s’accomplir avec une aussi innocente facilité.

La conclusion politique du livre de M. Hugo est plus curieuse par la forme que par le fond. Les idées que développe l’écrivain avaient été émises avant lui. M. Hugo n’a pas eu sans doute la prétention d’être neuf en faisant la critique des traités de Vienne, en signalant le machiavélisme qui a amené la Prusse sur la rive gauche du Rhin ; tout cela, depuis long-temps, est vulgaire. Ce qui ne l’est pas, c’est le procédé par lequel M. Hugo arrive à ces résultats connus.

Dresser longuement la topographie politique de l’Europe au commencement du XVIIe siècle, enseigner au lecteur qu’il y avait alors six puissances de premier ordre, huit du second, cinq du troisième, six du quatrième ; décomposer ce groupe de vingt-cinq états, puis le recomposer ; esquisser des histoires parolières, comme celles de Venise, de Gênes, de Malte, du Saint-Empire et de la Moscovie ; arriver enfin par mille détours à cette conclusion que cette ruche de royaumes et de nations était admirablement construite pour que déjà les idées y pussent aller et venir à leur aise, et faire ombre dans la civilisation, telle a été la méthode de l’écrivain : elle est singulière. Quand un publiciste traite une question, il doit supposer que ses lecteurs n’ignorent ni l’histoire ni la géographie ; autrement, il risquerait de se perdre dans des développemens interminables. Ici, M. Hugo a encore été sous le joug d’une ancienne habitude ; il s’est encore complu dans l’énumération. En lisant ce tableau de l’Europe tracé par M. Hugo, nous nous sommes rappelé Angelo faisant à la Tisbé l’histoire de Venise : Savez-vous ce que c’est que Venise, pauvre Tisbé ? Venise, je vais vous le dire, c’est l’inquisition d’état, c’est le conseil des dix, etc., etc. Elle est bien longue la leçon d’histoire par laquelle le podesta de Padoue instruit la courtisane ! Dans la conclusion de son livre sur le Rhin, M. Hugo se sert du même procédé.