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depuis le temple jusqu’au nid de rochers couronné de chênes et suspendu sur le Bingerloch écumant, là où les barques sveltes passent comme des lézards devant le Maüsethurm à travers les ondes furieuses. Viens, et regarde dans le miroir des eaux ; le ciel t’y sourit par-dessus les coteaux verdoyans, et tu t’y vois toi-même, entouré de pics et de cimes hardies, debout sur le rocher basaltique, comme sur un piédestal d’où tu contemples cette scène. Regarde les vallées qu’on voit s’enfoncer dans le lointain bleuâtre avec leurs paisibles couvens et leurs moissons onduleuses, et les bois et les jardins suspendus qui serpentent d’un vieux château à l’autre, et la parure des villes et des villages qui orne le rivage[1]. » On éprouve une émotion profonde en lisant ces lignes, pleines à la fois d’art et de simplicité, lignes où se trouvent rassemblés les traits principaux du paysage germanique, et sur lesquelles le plus grand poète de l’Allemagne a dû arrêter sa rêverie.

Pour conclure sur la partie pittoresque du livre de M. Hugo, nous retrouvons dans le Rhin, comme dans Notre-Dame de Paris, les qualités fondamentales de l’auteur des Odes. C’est la même puissance de description, c’est la même énergie pour mettre en scène de grands contrastes. Jamais peut-être M. Hugo n’a plus prodigué les antithèses que dans son ouvrage sur le Rhin ; il y en a de belles, il y en a de monstrueuses, il y en a de puériles. L’écrivain ne connaît ni frein ni mesure ; il lui faut des oppositions à tout prix. N’a-t-il pas d’ailleurs, pour les multiplier sans fin, une raison qui lui est toute particulière ? Nous trouvons en effet, dans une de ses lettres, cette phrase : « Vous savez que le bon Dieu est pour moi le grand faiseur d’antithèses. » Voilà qui nous ferme la bouche. Comment blâmer un écrivain qui imite le bon Dieu ?

C’est par une question internationale que M. Victor Hugo est entré dans la politique. Il a voulu jeter à l’Allemagne une parole de conciliation et de paix. Ce début nous agrée d’autant plus que nous pouvons ici applaudir sans réserve aux sentimens qui animent l’écrivain et au but qu’il se propose. Lorsque M. Victor Hugo dit que le Rhin est un fleuve digne d’être à la fois français et allemand, nous ne le contredirons pas, puisque nous écrivions, il y a douze ans, que le Rhin, comme Charlemagne, appartient à l’Allemagne et à la France. M. Hugo désire une alliance sincère entre l’Allemagne et la France ; depuis longtemps nous avons formé les mêmes vœux. Il voit dans cette alliance le rempart de l’Europe contre les envahissemens de la Russie ; nous n’avons pas un autre avis, car nous avons toujours pensé que l’esprit

  1. Grace à l’élégante traduction de Séb. Albin, la correspondance de Goethe et de Bettina est aujourd’hui connue en France.