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fut le garde-malade vigilant de cette société meurtrie, saignante, flétrie et vigoureuse.

Le philosophe n’accepte pas comme parfaits ce caractère, ce personnage et cette époque ; on ne doit pas non plus les comparer aux personnages et aux caractères qui nous environnent. Il n’y a, Dieu merci, dans le moment et dans la France où j’écris, ni Robert Walpole, ni lady Masham ; nos ministres ne craignent guère de transférer leurs bureaux et leur portefeuille à la Conciergerie ou à la Force, et le bourreau ne coupe les oreilles de personne, comme cela faillit arriver à Burke dans sa jeunesse pour avoir écrit un pamphlet. Faisons de l’histoire pour elle-même, pour elle seule, non pour la satisfaction de nos rancunes ou pour nos débilités d’esprit.

Loin de donner Robert pour un homme pur, je le regarderai donc comme un homme de son temps, c’est-à-dire comme un personnage mêlé, impur, mais singulièrement caractéristique, d’une sagacité et d’une fermeté sans pareille. Les apologies même de son fils Horace le montrent sous cet aspect ; on le retrouve tel dans les papiers de lord Marlborough, qui viennent d’être publiés, dans sa vie écrite par Coxe, et dans les fragmens de sa correspondance avec Hill. Homme d’affaires, il est infatigable comme un avoué qui veut gagner sa cause. Il capte les juges, chicane sur les détails, prend mille précautions, s’entoure de mille ruses et en vient toujours à ses fins, je n’ose pas toujours dire à son honneur. En fait de whiggisme, d’audace et de tactique parlementaire, son maître était ce Churchill, premier lord Marlborough, dont nous Français avons fait un nom comique, pour effacer sans doute la trace lugubre et tragique de ses victoires. Ces trois hommes, Walpole, Chatham et Pitt, ont fait plus de mal à la France que vingt contagions et dix tremblemens de terre. Il est vrai qu’ils ont cherché de toute leur puissance la grandeur de leur pays, qui doit leur pardonner. Voici quelle a été la route suivie par ces quatre ouvriers politiques de l’agrandissement anglais pendant le XVIIIe siècle : Marlborough se chargea de la victoire armée sur l’étranger ; Walpole, de l’apaisement des partis intérieurs ; Chatham, des satisfactions à donner à l’orgueil national, et le second Pitt, réunissant tous ces élémens pour lutter contre l’Europe, a repoussé la révolution.

Le second de ces ouvriers, Robert Walpole, a dû être sacrifié par l’orgueil britannique ; il avait pris dans le travail une part utile à la grandeur qu’il servait. Hanovrien, whig et protestant, il défendait cette famille allemande qui n’avait pas les qualités douces et mâles de