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Lombards ne l’intéressaient pas uniquement ; il cherchait à se bien fixer sur les conditions générales de l’établissement de tous les conquérans barbares, sur les différences en particulier qu’il pouvait y avoir entre les habitudes des Franks et celles des Lombards mêmes ; il aurait voulu pouvoir découvrir quelque chose de l’état de la population indigène sous ces derniers, deviner ce qui en était de ces peuples subjugués et possédés sur le compte desquels rien ne transpire, que taisent les chroniques, que les historiens modernes ne soupçonnent pas, et dont un de ses chœurs nous rend le sourd et profond gémissement. Au sortir de ces études préliminaires, Manzoni aurait été en mesure, à volonté, d’entreprendre une histoire des Lombards comme auraient pu le faire Augustin Thierry et Fauriel, ou bien d’écrire une tragédie. Le Discours historique qui sert de préface à sa pièce le prouve assez ; je le comparerais presque, pour le ton comme pour le fonds, à quelqu’une de ces piquantes lettres critiques d’Augustin Thierry sur notre propre histoire ; sans avoir la prétention d’éclairer celle du nord de l’Italie au IXe siècle, ce discours a pour effet d’en rendre l’obscurité visible, et démontre que ce qu’on prenait pour de la lumière n’en est pas. Ce qui impatientait Manzoni par-dessus tout, ce qui ne l’impatientait pas moins que son confrère Thierry (il lui donnait ce nom), c’étaient les formules vagues, lâches, vulgaires, à l’aide desquelles les historiens modernes avaient recouvert et comme étouffé des questions qu’ils n’apercevaient pas. Il avait coutume de résumer agréablement le sens de son Discours historique à peu près en ces termes : « Je leur ai donné à savoir qu’ils n’en savent rien, et je leur ai dit que je n’ai rien à en dire ; après quoi je les quitte, en les priant de faire de longues études pour nous en dire quelque chose. On m’avouera que c’est un pas de fait. »

C’est par de telles préparations que le poète, sévère pour lui-même et de moins en moins satisfait en avançant de son personnage romanesque d’Adelghis, qu’il avait imaginé sur des données historiques moins sûres et avant ses dernières études, prenait sa revanche tout à côté, et qu’il se rendait digne de ressaisir, de retracer dans ses vrais linéamens la figure non colossale, mais grande encore, de Charlemagne[1].

Et qu’on ne dise pas que l’idéal ait souffert au milieu de cette application patiente ; le personnage d’Hermangarde a toute sa pureté et son exaltation tendre, les chœurs ont leur pathétique ou leur éclat.

  1. Préface de la traduction de Fauriel, page XI.